Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur… le cinéma d’auteur roumain en 2023
De 2016 à 2020, les films indépendants chinois furent à l’honneur sur Accreds, au sein d’une rubrique dédiée. C’est maintenant au tour du cinéma d’auteur roumain d’être mis en avant sur le site. Le principe reste le même, celui d’un article évolutif, croissant au fil des mois, critique après critique, briguant l’exhaustivité du recensement, au gré des présentations en festivals et des sorties sur grand ou petit écran
Barème de notation : de ⚠ à 🇷🇴🇷🇴🇷🇴🇷🇴
(rattrapage) DÉCEMBRE 2022
le 1er
BLUE MOON (Crai Nou), d’Alina Grigore 🇷🇴🇷🇴
Diffusion sur ARTE (inédit en salles)
Concha de Oro (Coquille d’or) au Festival de San Sebastian 2021
Récit d’une émancipation contrariée, Blue Moon surprend grâce à sa caractérisation à la fois frontale, par l’étude de caractère singulière mais ciselée de sa jeune héroïne Irina, et décalée, jouant de symboles, de traces et stigmates énigmatiques. Seulement, le film finit par faire « flipper », machine rutilante et séduisante tant que ses billes ne déboulent pas sur le plateau, Alina Grigore lâchant négligemment ses comédiens secondaires dans chacune des nombreuses scènes de dispute en famille, les laissant brailler, s’agiter, rebondir sur les bords du cadre, jusqu’à l’épuisement. Dans le rôle du cousin empêchant Irina de voler de ses propres ailes, l’acteur Mircea Postelnicu gagne la timbale à ce petit jeu, rôle ingrat, performance assommante, de la part de l’acteur d’Ana mon amour (Călin Peter Netzer, 2017), pourtant encore récemment remarquable dans un petit rôle à l’affiche de… Dédales.
le 7
DÉDALES (Miracol), de Bogdan George Apetri 🇷🇴🇷🇴
Sortie VOD/DVD (précédemment sorti en salles en juillet 2022)
Présenté à la Mostra de Venise – section Orizzonti (septembre 2021)

JANVIER
le 4
RADIO METRONOM (Metronom), d’Alexandru Belc 🇷🇴🇷🇴🇷🇴
Sortie en salles en France
Précédemment présenté au festival de Cannes en 2022, Sélection officielle, Un Certain Regard – Prix de la mise en scène
Bucarest, 1972. Ana, 17 ans, à qui l’on impose de passer son bac d’abord, ou plutôt de le passer tout court, joue des coudes et fait le mur pour bousculer et outrepasser ce qu’elle ne perçoit que comme le carcan défini par ses parents, quand dans le Roumanie de Ceaușescu la véritable prison guette potentiellement des ados au seul motif de se réunir et d’écouter Led Zeppelin, les Doors ou encore la radio clandestine « Metronom ». Durant les premières scènes du film, Alexandru Belc présente les lycéen·ne·s en uniforme scolaire, avant de laisser chacun·e les percevoir un peu plus intimement quand, une quinzaine de minutes plus tard, à l’occasion de ce « thé dansant », les ados portent enfin leurs propres vêtements. A une exception près, Ana. Étant partie de chez elle à la hâte, elle… Lire la suite.
le 25
R.M.N, de Cristian Mungiu 🇷🇴🇷🇴🇷🇴🇷🇴
Sortie VOD/DVD/Blu-Ray (précédemment sorti en salles en octobre 2022)
Présenté au festival de Cannes en 2022, Sélection officielle, En compétition
Grand film de 2022, grand oublié du palmarès cannois aussi, R.M.N sort au format physique et digital en ce début d’année. On y suit Matthias, de retour en Transylvanie après avoir dû quitter précipitamment son travail en Allemagne. Il y retrouve entre autres son fils Rudi, devenu mutique depuis un traumatisme vécu en forêt. Aucunement bucolique, cet espace secondaire où le père et l’enfant se rendent régulièrement devient théâtre de la violence, recréation d’un imaginaire viriliste, où règne la loi du plus fort. Matthias égrène les leçons de survie, apprenant notamment à son fils à purifier de l’eau, quand la notion de purification ethnique infuse les esprits environnants. De fait, en marge, au village, la parole prévaut encore mais les agoras se succèdent et croissent quant à la présence jugée néfaste de premiers immigrés asiatiques. A mi-parcours, alors qu’une nouvelle scène d’apprentissage en forêt débute, le prêtre local entre dans le cadre par surprise, sortant d’un chemin de traverse, parasitant d’un même mouvement la saynète et le cours du film. Le basculement est avéré dans la foulée, au terme de ce passage saisi sans coupe, lorsque l’ensemble des villageois les rejoignent : il est alors convenu que les migrants économiques fraîchement accueillis ne sont déjà plus les bienvenus. La violence déborde, pénètre au village et dans le récit premier. Mungiu use de surcadrages par l’omniprésence des fenêtres à l’écran, il filme ses personnages dans les reflets, il montre une forêt mais dans un écran, elle-même dans un bureau, lui-même divisant par sa baie vitrée l’espace des patrons et celui des travailleurs, Mungiu filme aussi le Sri-Lanka mais dans un smartphone s’invitant dans le paysage roumain, il filme des ours mais seulement des hommes masqués à tête d’ours, il utilise une musique pour bercer le film mais c’est là le thème de Shigeru Umebayashi pour In the Mood for Love apposé intradiégétiquement sur ses propres images, en somme dans R.M.N tout n’est toujours que greffe, cohabitation et artifice – la rencontre la plus directe, sans fard, sans voile, sans écran, attend encore, car jamais les habitants belliqueux n’auront simplement pris le temps d’échanger un mot avec les nouveaux arrivants. Partant, c’est bien le récit patient d’une catastrophe.
le 26
TIGRU, d’Andrei Tănase 🇷🇴🇷🇴🇷🇴
Première mondiale à l’IFFR (Rotterdam), section Bright Future (le 26)
Première européenne à Premiers Plans (Angers), En compétition (le 27)
Si le synopsis officiel dévoile sans vergogne une péripétie intervenant à mi-parcours, le sentiment que l’expérience ne pourrait être que plus appréciable pour qui ne saurait rien de Tigru invite à ne pas trop dévoiler l’intrigue en ces lignes. Sachez seulement qu’il s’agit de l’histoire de Vera, vétérinaire affectée au zoo de Sibiu, ville du județ éponyme, au cœur du pays, et dont la détresse personnelle à la suite d’un drame familial va trouver écho dans l’accueil récent et inédit d’une tigresse nommée Rihanna. Le scénario soigne son horizontalité : Andrei Tănase développe finement le personnage de Vera, la tragédie qui l’habite, la relation distendue qu’elle entretient avec son mari Toma, dont la caractérisation habile et originale le montre à la fois autoritaire et couard (peur des tigres, des serpents, des aiguilles), l’auteur décrivant encore à la marge une relation ambiguë avec un jeune collègue de Vera, s’attache autant à la fameuse tigresse mais aussi à ses anciens propriétaires patibulaires, et multiplie les dangers tous azimuts, de la faune à la flore. En outre, Tigru et son histoire de bête sauvage que les humains ne considèrent jamais à sa place, qu’elle se retrouve domestiquée, en captivité ou en liberté, travaille le jeu de miroir entre Rihanna et Vera – il faut voir ce plan à mi-chemin entre La féline et Cyrano dans lequel l’animal grogne auprès de Toma, alors que Vera se cache non loin dans son axe – la protagoniste reste dans son cas désaxée, en butte au monde qui l’entoure, particulièrement esseulée depuis qu’un être aimé l’a quittée, et dont la dépouille attend d’être déplacée, d’enfin reposer au cimetière orthodoxe de Sibiu, enfin à sa place. Mince, ne plus trop en dire. Ou juste la fin : ce plan aimable dans lequel Vera refuse d’embarquer avec son compagnon, préférant marcher seule, décision volontairement inadaptée, mais néanmoins assurée, pile au milieu de la route – dans l’axe.
FÉVRIER
le 7
IL ÉTAIT UNE FOIS PALILULA (Undeva la Palilula), de Silviu Purcarete 🇷🇴
Sortie DVD (précédemment sorti en salles en septembre 2022)
Présenté en festival à Karlovy Vary en 2012
Saluons d’emblée le regard et l’abnégation du distributeur ED, connu depuis plusieurs décennies pour avoir mis en lumière les œuvres de Guy Maddin et de Bill Plympton, plus récemment de l’indien Mani Kaul, sans oublier les trouvailles en plus léger différé que furent les films de Laurence Thrush et de Patrick Wang. Ceci étant dit, une fois n’est pas coutume, leur nouvelle pioche ne convainc pas. Palilula sort aujourd’hui en DVD après un passage en salles l’an passé avec, dans son cas, dix ans de retard sur sa première diffusion. Malheureusement, même à l’époque, c’était déjà un film daté. Délire folklorique emphatique à la Kusturica – et sans penser aux meilleurs – le film se révèle notamment désuet pour certaines de ses visions, en premier lieu le blackface permanent d’un personnage central, et pour nombre de ses effets (apostrophes, accélérations d’images, etc.). Palilula se vautre joyeusement dans ses propres tabous, sans aucun filtre, s’amusant de ses provocations, donnant l’impression de ne pas savoir, de ne pas vouloir savoir, voire d’ignorer que l’on peut savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, mettant entre autres en scène ledit blackface, hermaphrodisme, récit zoophile, visions grossophobes – et à chacun de se débrouiller avec ce pêle-mêle. Tout ici est grossier et gras, lourd et dépassé ; tout sauf les musiques, superbes. Tout sauf les musiques et, si l’on est clément, sauf la conclusion du film, bascule meta forcément inattendue. Rien d’unique pour qui se souvient, par exemple, de la Palme d’or Le goût de la cerise (Abbas Kiarostami, 1997) ou ne serait-ce que The Wonder de Sebastian Lelio l’année dernière, mais ce tressaillement diégétique a au moins le mérite de chahuter in extremis l’interminable fable poussiéreuse déployée jusqu’alors.
le 13
LE RETOUR – les héros inconnus de la révolution roumaine (Die Rückkehr – Die unbekannten Helden der rumänischen Revolution), de Dobrivoie Kerpenisan 🇷🇴🇷🇴
Diffusion sur ARTE (disponible en replay du 13/2 au 14/3)
Un pas de côté ici, puisque Le retour est une production allemande, mais le sujet du documentaire, son auteur et a fortiori l’expression orale des intervenants convergeant immanquablement vers la Roumanie, sa présence au sein de cet article annuel reste acceptable.
En décembre 1989, Dobrivoie Kerpenisan, alors étudiant en Allemagne, rentre à Timisoara pour passer les fêtes de Noël auprès de sa famille. Il assiste alors aux premières heures du mouvement populaire à l’origine de la chute de Ceaușescu . Passionné de photo, il immortalise ce chamboulement drastique pendant plusieurs jours. Trente ans plus tard, le photographe et documentariste retrouve et s’entretient avec une poignée d’hommes et de femmes présent·e·s sur ses clichés, faisant appel à leurs souvenirs de cette journée historique et questionnant leurs sentiments quant à la révolution mais aussi sur l’état actuel du pays. Le retour se montre maladroit et tape-à-l’œil dans ses premières minutes, animant les photographies, les rendant inexplicablement mouvantes, décision formellement regrettable en plus de manquer de cohérence tant chacun des entretiens qui constituent par la suite le cœur du documentaire explicitent précisément l’idée que la révolution a figé l’existence roumaine d’alors dans une forme de trivialité, ces acteurs et actrices de la révolution se souvenant avoir été stoppé net, en somme pour toujours, dans des actions semblables : acheter du pain pour l’un, du sucre pour l’autre, etc. En un instant, tout bascule, et là encore, un même discours se répète : l’impression étrange de se lancer à corps perdu dans la révolution, comme une évidence, et pour autant « sans comprendre ce qu’il se passe ». Les entretiens s’avèrent sensibles et émouvants, l’approche de l’auteur se révèle patiente, le documentaire tient quelque chose de fort mais il est fatalement trop court ; trente minutes seulement, presque comparable au trailer d’un film au long-cours imaginaire qui pourrait être à l’Histoire de la Roumanie ce que les huit heures des Âmes mortes de Wang Bing (2018) le sont au peuple chinois ou les neuf de Shoah de Claude Lanzmann (1985) au peuple juif.
le 18
MAMMALIA, de Sebastian Mihăilescu 🇷🇴🇷🇴🇷🇴
Première mondiale à la Berlinale, section Forum
Pour le situer dans la cartographie la plus générale, Mammalia est à rapprocher de films européens récents radicaux, très aboutis formellement et volontiers déroutants, tels que J’étais à la maison, mais… (Schanelec), Au commencement (Kulumbegashvili) ou encore Sous le ciel de Koutaïssi (Koberidze). L’appartenance à cette famille bigarrée mais unie dit déjà quelque chose : il y a de quoi douter de la capacité du film à fédérer le public – plans longs, plans fixes, souvent les deux à la fois et dans le cas présent, agrémenté de paraphilie par ici, humiliations par là – mais il serait regrettable de passer à côté de ce film étrange et beau. Pour son premier long de fiction, Mihăilescu séduit par sa science du cadre, son univers surréaliste entier et ses nombreux symboles cachés. A cet égard, il faut voir ce plan mémorable sur l’ombre portée d’un homme tapi dans l’embrasure de la porte de la chambre maritale, dont la forme s’allonge tel un phallus venant caresser le corps de son épouse endormie. L’homme frustré, c’est le protagoniste Camil qui ne supporte pas que sa femme rejoigne une communauté féministe secrète se regroupant au bord d’un lac, se mettant dans un second temps à la poursuivre et à l’y épier, puis dans un troisième à tenter d’infiltrer le clan – Camil a beau explorer sa propre féminité en prenant l’allure d’une femme, ses relents de masculinité toxique envoient des signaux contradictoires. A l’ombre phallique initiale succèderont en arrière-plan un robinet pendant, un escargot rabougri, et d’autres visions encore participant d’une émasculation symbolisée et protéiforme qui prendra toute sa valeur lors du dernier acte. Sans être toujours certain du discours précis délivré ici, Mihăilescu embrassant volontiers les contradictions, ce périple halluciné d’un homme proprement désorienté ne laisse pas moins une impression durable.
le 18
BETWEEN REVOLUTIONS (Între revoluții), de Vlad Petri 🇷🇴🇷🇴🇷🇴
Première mondiale à la Berlinale, Prix FIPRESCI de la section Forum
Fin des années 1970, Bucarest. Zahra et Maria sont étudiantes et amies. Seulement, la situation politique instable en Iran pousse Zahra à rentrer au pays. Au cours de la décennie suivante, elles conservent leur lien en s’écrivant régulièrement, relatant leurs luttes respectives, en tant que citoyennes, en tant que femme, l’une face à l’instauration de la république islamique d’Iran, l’autre en butte au régime de plus en plus liberticide de Ceaușescu. Les deux jeunes femmes n’ont pas de visage, le film étant constitué d’images d’archives, sur lesquelles résonnent la seule lecture des lettres – on pense à Sans soleil (Marker, 83) ou à Lettres d’amour en Somalie (Mitterrand, 82). Du reste, les deux personnages sont fictifs, agrégats d’idées, sentiments, anecdotes, partagés dans de multiples correspondances conservées dans les archives de la Securitate. Dans une des lettres, Maria dit à Zahra avoir vu une image de Khomeini dans le journal, et qu’il avait « l’air terne », laquelle remarque est apposée des images de manèges en Roumanie, qui elles-mêmes s’assombrissent. Le manège tourne, une forme de révolution, semblables aux chaises volantes tournoyant à jamais à la fin de « La légende de la visite officielle » (sketch de Contes de l’âge d’or, le film collectif orchestré par Cristian Mungiu en 2009). Une forme d’oppression peut toujours en remplacer une autre. Plus tard, l’image du manège virevoltant revient quand Vlad Petri fait se télescoper les images d’une liberté perdue par les Iraniens (les Iraniennes) avec des images pré-78 et celle retrouvée des Roumains post-89 ; tout cela reste bien fragile, semble commenter le montage. Les lettres parlent, les images aussi, le choc de certaines, l’entrechoc d’autres, et le silence parle lui aussi, comme dans Tourisme international de Marie Voignier (2014), quand la piste sonore disparaît tout de bon, comme pour mieux laisser pénétrer le vide, l’angoisse, du basculement soudain dans un autre paradigme politique.
à venir
AVRIL
LE VOYEUR (Watcher), de Chloe Okuno (VOD)
MAI
L’ÎLE d’Anca Damian (en salles)