Et si KNOCK AT THE CABIN était la suite cachée de Phénomènes ? (Et de Signes aussi)

Les thèmes et motifs à l’œuvre dans Knock in the Cabin renvoient en nombre à Phénomènes (2008), l’un des précédents thrillers fantastiques de M. Night Shyamalan, au point de l’envisager comme une suite aussi discrète que directe. What a twist ! (Attention spoilers… forcément)

 

Dans Phénomènes, il n’était pas question de douter de l’authenticité du péril (ses vagues de suicides épidémiques), mais seulement d’essayer de survivre, laissant à une poignée de personnages, et notamment au protagoniste scientifique Elliot, le soin de chercher une explication rationnelle à la catastrophe. Dans Knock at the Cabin, le doute est permis du fait qu’il ne s’agit plus d’un film régi par la circulation des figures à l’écran mais à l’inverse par leur claustration – rappelant en cela Signes, Le village ou encore La jeune fille de l’eau. La famille au cœur du film est dès lors contrainte de s’en remettre aux discours rapportés par les quatre supposés illuminés s’étant invités chez eux par la force, et autant par les informations télévisées qu’ils leur imposent. En tant que récit à structure interne, les spectatrices et spectateurs n’ont pas plus d’informations que les personnages, que ce soient les assaillant·e·s ou les assiégé·e·s. L’identification dite « secondaire » invite toutefois à se ranger du côté de la famille de trois – deux pères, Andrew et Eric, et leur fille adoptive Wen – aimable au possible et objectivement agressée par les quatre inconnus, qui certes ne cherchent pas à les blesser mais détruisent leur chalet de vacances et les ligotent dans le salon pour les forcer à les écouter. L’empathie à l’égard de ces victimes est donc manifeste, d’autant plus que leur approche de la situation apparaît sensée, la famille refusant naturellement de prendre les apparentes aberrations de leurs ennemis du jour pour argent comptant ; reste que les habitué·e·s de Shyamalan gardent une longueur d’avance, conscient·e·s de longue date que le cinéaste suggère toujours de croire à l’incroyable, et qu’il se plait aussi fréquemment à faire en sorte que les récits a priori extravagants de ses personnages finissent par s’avérer.

 

La famille est ici forcée à faire le choix de sacrifier l’un d’entre eux, faute de quoi l’humanité entière risque de s’éteindre. S’ils ne s’exécutent pas, littéralement, plusieurs fléaux d’une violence sans pareil sont censés s’abattre sur la Terre. La demande semble être de privilégier la survie des autres, de tous les autres, au prix de leur vie de famille (resteraient un père et sa fille, seule équation acceptable évidemment) et ce, sans certitude aucune de surcroît, mais une autre façon d’appréhender le dilemme peut être d’y voir une famille intimée non pas à se sauver égoïstement mais à sacrifier son équilibre pour le bien de la planète. De fait, cette même planète qui se révoltait contre ses occupants dans Phénomènes en libérant des toxines dans l’atmosphère, serait ainsi passer à l’étape supérieure dans Knock at the Cabin, donnant ici quelques coups d’accélérateur pour entamer sa guérison, relançant le processus par une élimination de ses parasites à plus grand échelle. D’où cette image décrite et répétée au fil du récit, celle d’un monde vu comme un organisme se débattant, se débarrassant de ses nuisibles, puisqu’on y parle explicitement d’une terre se soulevant et formant un poing rageur. Les fléaux successifs ne sont pas simplement présentés comme tels, puisque le discours privilégie un dévoiement de la perception naturelle des désastres, dont seules la cadence et la magnitude auraient changé depuis Phénomènes, les personnages préférant insister avec emphase sur la valeur prophétique et par essence inexplicable des événements, émanant fatalement d’une instance prétendument supérieure, quelle qu’elle soit. A l’image du dérèglement majeur de son film de 2008, dans Knock at the Cabin les tremblements de terre, les tsunamis, la foudre, un virus mortel comme symptôme d’un malmenage des écosystèmes ou encore l’instabilité atmosphérique précipitant les avions au sol renvoient pourtant tous à un cataclysme naturel protéiforme. Et comme dans Phénomènes toujours, ces fléaux ne se contentent pas d’anéantir les humains, ni même de les punir, ils le font avec une forme de cruauté : les catastrophes successives passent par la mort volontaire de l’Homme, tel un acte de contrition, un éclair de lucidité quant à sa propre nocivité : à la substance invisible ingérée qui pousse irrépressiblement au suicide dans Phénomènes succède l’acceptation de son sort dans Knock at the Cabin, un agenouillement inquiet mais assumé des quatre « Cavaliers de l’Apocalypse », jusqu’à recevoir le coup de grâce.


Au terme du récit, le phénomène du film éponyme de 2008 s’arrête subitement, a priori arbitrairement, exception faite que la scène de réunion des personnages principaux, Elliot et Alma, et la formation ainsi pleinement actée de leur nouvelle cellule familiale depuis l’adoption de la petite Jess, coïncide curieusement avec ce coup de frein subit dans l’extinction programmée de l’humanité. Dans Knock at the Cabin, c’est cette fois une mise à mort mais décrite comme une égale preuve d’amour, qui empêche là encore la planète de gagner la partie contre ses nuisibles, stoppant plus tardivement cette fois mais comparablement l’irréfragable propagation de la mort. La scénographie fait lien elle aussi, puisque dans chacune de ces deux scènes antépénultièmes l’environnement est proche, le cadre identique : une maison et son jardin, sur lequel le vent se lève, non loin l’enfant convié à se changer les idées dans une cahutte annexe, puis la réunion des survivants, prêts à investir le « monde d’après ».


La conclusion de Knock at the Cabin, une nouvelle fois et plus tangiblement encore, reprend la scénographie d’un passage-clé de Phénomènes. En 2008, Elliot, Alma, Jess et son père Julian sont contraints de descendre d’un train et se retrouvent dans une bourgade de Pennsylvanie, échouant comme tant d’autres, dans un diner, un restaurant esseulé le long d’une route de campagne. C’est ici que l’escalade dans l’effroi passe un cap, avec une première vidéo d’une mort sanglante perçue sur un smartphone puis un journal télévisé suffisamment alarmiste pour forcer les familles à reprendre la route en urgence. C’est aussi ici, sur le parking, qu’un père quitte sa fille, qu’il ne reverra jamais : Julian confie Jess au couple formé par Alma et Elliot. Knock at the Cabin fait l’inverse : le rapprochement est perceptible, avec une route jumelle, filmée à l’identique par un même jeu de perspective, mais cette fois-ci la famille non pas recomposée mais décomposée, ayant déjà perdu le père, est d’abord filmée sur le parking puis entre dans le diner, or le journal télé induit cette fois une désescalade, le discours se veut rassurant, les catastrophes déclinent. La fin du film voit le ciel s’éclaircir, là où Phénomènes tendait vers toujours plus de nuages jusqu’à son terme, le bleu du ciel ne se distinguant qu’une fois, au début du générique de début. Si Knock at the Cabin travaille Phénomènes à rebours, ce n’est pas tant qu’il raconte l’inverse, plutôt qu’il est son revers, la façon opposée d’aborder un même problème.

 

La scène distinctive du « home invasion », sous-genre auquel le film est censé appartenir, et que les personnages désavouent eux-mêmes, est ainsi le hors-champ d’un passage de Phénomènes. Elliot, Alma et Jess sont accompagnés de deux adolescents quand ils découvrent une maison en rase-campagne, grâce à laquelle ils espèrent se ravitailler. Les propriétaires refusant d’ouvrir, l’un des ados s’impatiente, hurle et frappe dans la porte, au grand dam de ses compagnons de route. Knock at the Cabin décalque cette scène quand les quatre « prophètes » veulent entre dans la maison où Andrew, Eric et leur fille passent leurs vacances. C’est le plus jeune qui perd son sang-froid, qui crie et tambourine, attitude ne convenant pas plus à ses comparses. Si l’on observe à travers les persiennes les armes des agresseurs, à l’intérieur dans Phénomènes, à l’extérieur dans Knock at the Cabin, agresseurs avérés dans le premier (l’ado est tué d’un coup de fusil), pas dans le second (ils ne touchent pas à la famille, leur laissant le choix de vivre), le choix du champ et du hors-champ donne ici une indication quant à la balance morale de la caractérisation de ce diptyque. En se plaçant du côté de la famille refusant d’ouvrir à un groupe qui l’alerte quant à la fin du monde, Shyamalan ne dit pas pour autant que le quatuor au-dehors sont les « gentils » de l’histoire, mais le souvenir de ce passage de Phénomènes fait cependant infuser l’idée que la famille à l’intérieur n’est pas forcément du « bon » côté, que ceux qui pénètrent ainsi leur espace ont peut-être une excellente raison de vouloir entrer, de communiquer, de les alerter. On saura d’ailleurs voir un lien entre le gros plan sur la poignée de mains entre la petite Wen et l’imposant Leonard dans Knock at the Cabin, et celui semblable sur les mains unies de Jess et d’Alma dans Phénomènes, qui par leur apposition interroge sur qui est en réalité la « bonne » personne à qui l’enfant peut être confiée pour son avenir.

 

A l’époque de Phénomènes, avant même lesdits phénomènes, le regard posé sur Leonard n’aurait déjà pas été le même, la méfiance plus grande à son égard : au début du film, dès la première scène, étrangement annonciatrice de Knock at the Cabin, une jeune femme s’arrête dans la lecture de son roman, son amie lui rappelant à quel moment de l’intrigue elle se trouve : « Tu en es au passage où les quatre tueurs doivent décider de ce qu’ils vont faire de la petite estropiée ». Wen a seulement une cicatrice au-dessus de sa lèvre supérieure, mais le parallèle avec l’intrigue de Knock at the Cabin n’en demeure pas moins troublant.

 

Influencée par les adultes, eux-mêmes influencés par leur environnement, Wen doit malgré tout s’écouter pour faire confiance ou non à Leonard, et au trio qui l’accompagne, mais le peut-elle seulement ? Dans Phénomènes, Jess peut compter sur une bague d’humeur que lui avait offert Elliot, dont les couleurs changeantes l’aident à lui indiquer ses propres émotions, baromètre utile au contrôle de ses sentiments. La première scène qui met en scène Wen la voit capturer des sauterelles, leur donnant des noms et les classant, avec pour les différencier un paramètre objectif et ostensible : leur couleur. Seulement, les sauterelles restent à l’extérieur quand la famille se retrouve séquestrée, les insectes finissant par s’échapper de leur bocal mais pour atterrir sur la fenêtre de la maison, incapables de rejoindre Wen à l’intérieur et de l’aiguiller dans son harmonisation sentimentale. (A noter qu’à ce jeu de couleurs s’ajoutent d’autres parallèles entre les deux films : une scène dans laquelle le père réclame un moment pour réfléchir sans être interrompu ; le personnage de femme devenue solitaire ici présente pour nourrir la famille ; la pénétration d’un lieu clos par la défenestration ; ou encore la photo encadrée d’une défunte mère, rangée dans un sac à dos et emportée comme un symbole funeste lors du départ des survivants vers sa nouvelle vie.)

 

Il existe en ligne une théorie proposée par le youtubeur Damien Maric, plus étoffée mais tout de même largement inspirée par celle de son homologue américain Anti Logic, théorie s’amusant à considérer Phénomènes comme la suite de Signes, visant ainsi à désigner les extra-terrestres en grands artisans, tapis dans l’ombre des nuages, de l’attaque simultanée perpétrée à l’encontre des humains. Dès lors, pourquoi ne pas imaginer que la connexion se prolonge avec Knock at the Cabin ? Un lien peut en effet se tisser du premier jusqu’au dernier film de cette possible trilogie, comme lorsque Merrill dans Signes décrit une vidéo au cours de laquelle le vol d’un oiseau apparaît stoppé net par une force invisible dans le ciel avant de chuter brutalement, passage annonciateur des images d’avions en perdition dans Knock at the Cabin. L’omniprésence des journaux télévisés, vecteurs de désorientation générale de la population, étant un autre fil rouge tiré de film en film. Une autre théorie, proposée par le journaliste Karim Debbache, induit quant à elle que les aliens de Signes ne sont pas mal intentionnés. Dès lors, pourquoi ne pas fusionner ces propositions ? Imaginons dans ce cas que les extra-terrestres de Signes, de retour dans Phénomènes et se cachant derrière les nuages – façon Nope de Jordan Peele, soit dit en passant – s’y trouvent toujours dans le non moins brumeux Knock at the Cabin. Cantonnons-les maintenant à une simple phase d’observation dans Phénomènes, celle d’une extinction amorcée de l’humanité, alerte précoce d’un bouleversement infiniment plus large, que l’on observerait dès lors dans Knock at the Cabin.

 

Gageons donc que les extra-terrestres sont ici les alliés des humains, que ce sont eux qui ont envoyé à Leonard et à ses quatre acolytes les visions leur permettant de s’assurer de leur mission et de la nécessité de se réunir pour tenter d’empêcher les redoutables fléaux sur le point d’accabler les terriens ; fléaux déclenchés par les travers suprêmes des humains, personnifiés par notre famille faussement héroïque, organisme au sein duquel le sentimentalisme se conjugue à l’individualisme. Au cours du générique de début se succèdent sous forme de dessins, de croquis, les visions entêtantes de la bande des quatre, couchées sur papier sur différents supports triviaux parmi lesquels des devoirs d’écoliers ou des menus de restaurant, convoquant en cela Rencontres du troisième type (Steven Spielberg, 1977), au cours duquel des personnages non-moins obsessionnels se réunissent après avoir été eux aussi touchés par des visions. Établir des parallèles entre un Shyamalan et ses précédents films n’étant, du reste, pas plus surprenant que de connecter son dernier à un classique de Spielberg, l’un de ses modèles avoués de longue date.


KNOCK AT THE CABIN (États-Unis, 2023), un film de M. Night Shyamalan, avec Dave Bautista, Jonathan Groff, Ben Aldridge, Nikki Amuka-Bird, Rupert Grint, Abby Quinn, Kristen Cui. Durée : 100 minutes. Sortie en France : le 1er février 2023.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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