RADIO METRONOM, la boom… boum !
Prix de la mise en scène au Certain Regard à Cannes, grand vainqueur du festival du film d’Histoire de Pessac, Radio Metronom se regarde comme on écoute un vinyle : une face A entrainante, une face B plus sombre et entêtante. Le bras du réalisateur se pose habilement, les pistes s’enchaînent, et dans les sillons se nichent les souvenirs des méthodes éreintantes du régime de Ceaucescu.
Bucarest, 1972. Ana, 17 ans, à qui l’on impose de passer son bac d’abord, ou plutôt de le passer tout court, joue des coudes et fait le mur pour bousculer et outrepasser ce qu’elle ne perçoit que comme le carcan défini par ses parents, quand dans le Roumanie de Ceausescu la véritable prison guette potentiellement des ados au seul motif de se réunir et d’écouter Led Zeppelin, les Doors ou encore la radio clandestine « Metronom ».
Durant les premières scènes du film, Alexandru Belc présente les lycéen·ne·s en uniforme scolaire, avant de laisser chacun·e les percevoir un peu plus intimement quand, une quinzaine de minutes plus tard, à l’occasion de ce « thé dansant », les ados portent enfin leurs propres vêtements. A une exception près, Ana. Étant partie de chez elle à la hâte, elle se change chez sa meilleure amie, mais ne peut faire mieux que d’enfiler la robe de la mère de cette dernière ; dont l’absence a naturellement permis à la boom de se tenir. Cette particularité visuelle permet non seulement de marquer la singularité de la jeune fille par rapport au reste de la bande – ce que la seconde moitié du récit déploiera de façon inattendue – mais aussi d’induire l’impossibilité pour Ana d’être pleinement elle-même au contact des autres. Là encore, la première partie du film la présente comme déchirée entre plusieurs états émotionnels, tantôt optimiste, tantôt résignée, s’avérant alors bouleversée par une histoire d’amour en péril, quand la seconde partie insistera sur des tourments intérieurs d’une autre teneur, poussée à confronter sa romance contrariée à des injonctions supérieures émises par un régime totalitaire faisant une entrée fracassante dans son existence.
La mise en scène d’Alexandru Belc – récompensée par le jury du Certain Regard – traduit encore le morcellement que s’impose Ana au contact des autres, inconstance lisible dans l’utilisation de l’espace qu’elle investit : lorsqu’elle danse au milieu de ses ami·e·s, elle se force à sourire ; puis prend le masque dès qu’elle s’isole, au détour des cloisons de l’appartement ; avant de sembler enfin pleinement elle-même une fois retirée dans une pièce attenante et, cette fois, parfaitement close (celle où la rejoint son petit ami). A distance, cette chambre loin de chez elle qu’elle referme énergiquement et dont la porte se pare d’un motif floral s’oppose d’ailleurs à la sienne, qu’elle claque aussi plus tôt dans le film, et qui dans son cas se distingue par l’affiche du film Blow Up qu’elle aura collée dessus, le spectateur pouvant ainsi déceler d’une part le symbole d’un épanouissement possible loin de son foyer et de l’autre, en opposition, celui d’une solitude confinant à la paranoïa, émois véhiculés par le clin d’œil au film d’Antonioni, autre histoire de secret et de manipulation, étant dans la foulée secondée par la vision d’Ana se détournant de son père et de sa mère pour écouter attentivement sur son lit une bande magnétique, ode, audio, à la pop culture anglo-saxonne – saut illusoire dans le futur, en 1972 Blow Out n’est pas encore sorti.
La petite fête s’achève en début de soirée, sensiblement à la moitié du film. C’est le moment où Alexandru Belc passe à la face B de son histoire. Ana a quitté l’appartement plus tôt que les autres, mais elle rebrousse chemin et s’y rend à nouveau, seulement en quelques instants tout a changé. La police secrète de Ceaucescu, la Securitate, a investi les lieux et procède à l’arrestation des jeunes, coupables d’avoir dansé sur « Light my fire », mais surtout d’avoir rédigé une lettre à l’attention de leur radio libre fétiche, qu’ils comptaient faire passer illégalement au-delà des frontières du pays. Radio Metronom reprend alors son jeu sur les cloisonnements, mais sur un mode plus sombre et désespéré. Dans cette face B, Ana se retrouve dans des pièces toujours plus petites, et toujours plus closes, jusqu’au double-tour, et elle se voit est de plus en plus enserrée, de moins en moins libre. La police lui impose un devoir sur table, sa confession, puis au détour d’un échange les agents la définissent en tant que « patiente » – le commissariat est une synecdoque, elle vient d’entrer dans un monde nouveau, plus grand et dévorant, une école de la morale, conjuguée à l’emprise d’un établissement de santé rigoriste. L’ultime mouvement évoque subtilement l’idée d’un quotidien altéré, prison à la fois dorée et à ciel ouvert donc, ultime symbole de claustration mais plus retors que jamais.
RADIO METRONOM (Metronom, 2022), un film d’Alexandru Belc, avec Mara Bugarin, Şerban Lazarovici, Vald Ivanov. Durée : 102 minutes. Sortie le 4 janvier 2023 en salles en France.