Envoyé Spécial… à CINEMED 2021 : voyages, portraits, Buñuel dans la jungle et Moretti inquiet

Deux jours, c’est probablement trop peu pour dégager des tendances, dominantes, échos… Alors on s’est promené, le festival CinéMed s’y prête, tout autour de la Méditerranée, entre courts et longs-métrages, documentaires et fictions, rétrospectives et avant-premières… glanant plusieurs propositions parfois ténues mais intéressantes.

DES ÊTRES ET DES ARBRES DÉPLACÉS

En premier lieu, il y a la curiosité de découvrir des lieux, des pays, qu’on connaît peu, d’avoir un aperçu de ce qui s’y passe, en tout cas de ce que les réalisateurs choisissent d’en montrer. Par exemple, des pongistes kosovars ballottés de salle en salle et ayant un certain mal à maintenir un entraînement digne de ce nom (Déplacé, Samir Karahoda). Ou une famille de Juifs éthiopiens en Israël qui révèle ses tensions à l’occasion de la fête de Pessah, autour de la radinerie jugée à présent intolérable du père (What has changed, Salomon Chekol) – on aime que le jeune cinéma israélien s’attaque à d’autres problématiques que celles dont on est familier, présentant ici des personnages d’immigrés à la fois intégrés (le fils aîné est soldat) et connaissant des situations particulières, délicates à plus d’un titre. Belle surprise venue de Géorgie, Taming the Garden (Salomé Jashi) suit le parcours d’arbres déracinés, achetés par un mystérieux « homme puissant » pour être replantés dans son domaine, dont on pourra apprécier la luxuriance à l’extrême-fin. Un havre de jouvence conçu pour prolonger sa vie, comme la chose se murmure parmi les habitants, partagés comme il se doit à l’idée de se séparer contre espèces sonnantes de leur végétation ? Cet aspect est sans doute plus attendu, mais la réalisatrice ne s’y attarde pas, préférant suivre ce drôle de déménagement (a-t-on déjà vu au cinéma comment on déplace un arbre avec ses racines, sur route, puis mer ?) sans ajouter grand-chose, sans tenir réellement de propos, c’est peut-être une limite mais le film fonctionne calmement comme cela, tout en hors-champs.

DES DOCUMENTAIRES SE RÉDUISANT A LEURS SUJETS

Une tendance qui s’observe de plus en plus chez les documentaristes est celle consistant à choisir comme centres de leurs films des individus, artistes, militants, etc., et à s’en remettre (un peu trop ?) à eux pour ce qui suit. Au risque d’une certaine fadeur : on a le sentiment d’avoir déjà vu cette description d’une jeune femme fouillant dans les malles de ses parents disparus et s’interrogeant sur leur passé d’activistes maoïstes (Hérédité, Emanuele Gaetano Forte). Manque de fermeté, d’un propos là aussi, d’une articulation entre cette activité politique d’hier et celle présente de la jeune femme, brillante généticienne dont les extraits de présentations, toujours claires et pédagogiques, sont peut-être le meilleur du film, mais dans quel but finalement ? Imbert, derrière les flammes (Lucas Mouzas) commence lui aussi par paraître très terne (des airs de reportage de JT ringard) avant que ce portrait d’un artiste et designer handicapé finisse par intéresser. Gravement brûlé bébé, ce qui lui laissa de lourdes séquelles, issu d’un milieu bourgeois dont il s’écarta pour une vie plus baba, créateur de cheminées à la stylisation très seventies, qui l’amenèrent à devenir un vrai chef d’entreprise… C’est intéressant, oui, même si à l’évidence il manque quelque chose.

RÉTROSPECTIVEMENT, LA GEÔLE ET LA JUNGLE

Côté rétrospectives, Khiam 2000-2007, des toujours passionnants Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, revient sur une expérience concentrationnaire dans le sud du Liban en conflit avec Israël. Le film est à la fois terrible, admirablement méthodique et un peu rigide dans son dispositif, une succession d’entretiens face caméra avec d’anciens détenus. On attend de découvrir leur prochain long-métrage Memory Box – en salles en janvier. Plus surprenant, et réjouissant, La Mort en ce jardin de Luis Buñuel : un vrai film d’aventure/survival dans la jungle, un peu inégal, un peu Tintin, où le cinéaste compense ce qu’il n’a pas (une forme de profondeur psychologique, pour le dire vite et mal) par une indéniable énergie doublée d’un moralisme cynique. On pourra bien sûr esquisser un sourire devant quelques dialogues vraiment datés ainsi qu’une (géo)politique de BD – on ne peut pas dire que l’auteur de Los Olvidados et de Terre sans pain pousse ici très loin sa peinture de l’exploitation humaine. Mais il y a des visions saisissantes (une peau de serpent dévorée par la vermine, une carlingue d’avion avec ses victuailles dont on se demande d’abord si elle pourrait être un mirage), un récit plein d’aplomb, un exotisme par endroits discrètement surréaliste, où Buñuel a su injecter de petites choses, sur la religion notamment, témoignant de sa capacité à moduler, à traiter un peu différemment des sujets l’intéressant de longue date. Sans être toujours très sérieux, avec une forme de rondeur populaire (Simone Signoret en prostituée gouailleuse) qui fait aussi partie de son art, que l’on retrouvera dans ses films tardifs.

DYSFONCTIONNEMENT DE L’INTERPHONE

Enfin le nouveau Moretti, Tre piani, précédé de critiques pas toutes dithyrambiques (dans nos pages par exemple), pour des raisons qu’on comprend rapidement : qu’est-ce qui a bien pu pousser le cinéaste à réaliser cette espèce de film de gare assez élémentaire à plus d’un titre ? D’autant que cette dimension ne semble pas l’amuser plus que cela (songeons à ce qu’Almodovar en aurait fait) : derrière la profusion d’intrigues entremêlées, la tonalité reste plutôt maussade. C’est cette inquiétude généralisée qui finit par impressionner dans une certaine mesure, par intermittence : un homme qui n’arrive pas à se sortir de la tête que peut-être le voisin qui perd la boule et s’est perdu avec sa fille un bout de journée aurait pu en outre la tripoter, même si peu d’éléments pointent vers cela ; une jeune mère seule avec son bébé qui craint de mal faire (elle va chercher une voisine pour l’aider avec son premier bain), et par ailleurs de développer la psychose de sa mère… Tout le monde est inquiet, le mot est trop faible, est angoissé au plus haut point tout le temps : cela ne forme pas un propos formidablement original, mais ce n’est pas sans force. Et que ce sentiment se déploie à travers cet entrelacs d’histoires « faciles », avec des acteurs glamours, certains paraissant presque sortis d’un roman-photo (le mari et le beau-frère du personnage d’Alba Rohrwacher) crée un contraste plutôt intrigant – même si on ne niera pas la perplexité que continue d’inspirer le projet. Découvrir le lendemain un court-métrage roumain assez proche dans la thématique et l’esprit (Interfon 15, d’Andrei Epure, qui commence lui aussi par un drame en bas d’un immeuble provoquant des répercussions sur ses occupants) témoigne à la fois du caractère un peu évident voire facile du procédé, et en même temps de ses potentialités.

La 43ème édition du Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier s’est déroulée du 15 au 24 octobre 2021.