CONTES DU HASARD ET AUTRES FANTAISIES : Tournez ménages !

Une femme doit choisir entre sa meilleure amie et son ex auquel elle tient encore, une autre trahit son véritable amour en voulant trahir par amour, une dernière croise par hasard celle qui fut autrefois sa petite amie : en trois parcours cabossés de quiproquos et de coïncidences, Contes du hasard et autres fantaisies dessine avec délicatesse une carte du tendre labyrinthique.

 

A la fois film à sketch et triptyque, l’ex nouveau Ryusuke Hamaguchi (il a été réalisé avant Drive My Car, déjà sorti en France) se compose de trois courts-métrages aux airs de miniatures. Ils se regardent comme on observe des maquettes. On apprécie la finesse des traits et le sens du détail. On est épaté de voir reproduit à l’échelle réduite ce qu’on a pu apprécier chez certains longs de Hong Sangsoo (notamment La femme qui s’est enfuie) ou d’Eric Rohmer. Les Contes des 4 saisons, mais en un seul long. Et en enlevant une saison.

L’amour est donc le grand sujet du film. L’amour et ses jeux de hasard, toujours organisés en triangle. La coïncidence : boy meets girl, sauf que la meilleure amie de la girl est l’ex du boy, qu’elle l’aime toujours, alors elle hésite entre le récupérer ou préserver son amitié. Méprise : un étudiant demande à son amante de piéger pour lui le prof qui l’a humilié, mais rien ne se déroule comme prévu. Quiproquo : une quadra rencontre par hasard une ancienne petite amie et camarade de lycée, mais… Mais, mais, mais, toujours « mais ». Il n’est question que d’empêchements et de collisions, collisions dans un murmure, pas dans un « bang ». Le badinage n’est jamais inconséquent. Le marivaudage est essentiel. Hamaguchi tire ses lignes de dialogues comme il déviderait une pelote de méchante laine, attendant de tomber sur de petits noeuds qui, dans cet univers ouaté, provoquent de gros rebondissements.

D’explosions en sourdine en explosions en sourdine, il montre comment toute réalité peut basculer dans le romanesque et comment elle gagne à se vivre en fiction. Tout n’est que jeu de rôles dans Contes du hasard et autres fantaisies. Chacun se compose un personnage afin de mieux se révéler, se retrouver, dans ce qui s’impose comme une célébration du pouvoir d’attraction de l’écriture (le texte érotique lu par l’héroïne du second film constitue le sommet de la démonstration). On ne sait pas si l’art dramatique imite forcément la vie, mais visiblement, selon Ryusuke Hamaguchi, on gagnerait à ce que ce soit l’inverse.

 

WHEEL OF FORTUNE AND FANTASY (Japon, 2021), un film de Ryusuke Hamaguchi, avec Kotone Furukawa, Ayumu Nakajima, Hyunri , Kiyohiko Shibukawa, Katsuki Mori… Durée : 121 minutes. Sortie en France le 6 avril 2022.

 

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

Articles: 385