Newsletter Subscribe
Enter your email address below and subscribe to our newsletter
Attendu depuis dix-huit mois et deux festivals de Cannes, le nouveau film de Wes Anderson, premier en prises de vue réelles depuis son chef d’œuvre The Grand Budapest Hotel, a à son tour recours à un filtre fictif entre la réalité et lui-même : après l’hôtel, c’est ici un magazine qui est inventé de toutes pièces, et dont nous assistons à la lecture de quatre articles. À moins que son ratage soit un sabotage volontaire, une espèce de geste dadaïste, The French Dispatch n’a ni intérêt, ni profondeur, fonctionnant comme une autoparodie du cinéma de son réalisateur, pour raconter une parodie d’hommage à la culture française.
The French Dispatch, le magazine en question donnant son titre au film, est pensé comme un décalque du New Yorker, expatrié dans un Paris factice (renommé « Ennui-sur-Blasé » ; le film accumule jusqu’à la nausée les utilisations de mots français transformés en noms propres, probablement pour leur sonorité cocasse aux oreilles d’Anderson) où des journalistes américains écrivent de longs reportages sur les mœurs et tendances locales. Ce dispositif déjà alambiqué sur le papier ne prend jamais vie à l’écran. Dans The Grand Budapest Hotel, qui fonctionnait sur le même pas de côté vers la fiction à partir d’éléments réels (de l’histoire et de la géographie européennes du début du 20è siècle), l’angoisse – de la guerre, de la fin d’un monde – au cœur des écrits de Zweig qui servaient d’inspiration explicite au réalisateur restait bien présente, et palpable par le public. Cette angoisse donnait une âme, un socle au film ; elle matérialisait la mort, la peur du néant motivant la fuite en avant des personnages et du film dans son ensemble. Dans The French Dispatch, il y a un vide à la place du cœur, et le plein de la forme en devient un trop-plein, frénétique et épuisant à force. Ce zapping d’idées graphiques obnubilées par le fait d’être au moins aussi folles que la précédente, mais n’ayant plus rien à dire, à illustrer d’autre que leur propre perfection, génère indigestion (il devient surhumain de retenir quelque chose dans ce déferlement d’images) et autoparodie – la conférence donnée par le personnage de Tilda Swinton, la multiplication des images figées (comme des natures mortes), par exemple, ressemblent au travail de quelqu’un singeant Wes Anderson.
Sous le pastiche formel, le fond est lui-même une parodie d’hommage à la culture française en général et parisienne en particulier, ou d’hommage à une parodie de culture. Après une visite de la ville encore plus rapide qu’à bord d’un bus affrété par un tour-opérateur, les trois thèmes retenus par Wes Anderson pour son exposé bâclé de lycéen en cours de français LV2 sont l’art moderne, Mai 68 et la gastronomie – avec à chaque fois une dépolitisation totale et infantile du sujet. Sur l’art moderne, Anderson ne peut s’empêcher de tender vers le poncif du « tout ça n’est qu’une arnaque » ; mai 68 est réduit à un caprice d’enfants « grognons » ; et le chapitre sur la gastronomie (qui reste le plus valide car le plus vif, avec sa course-poursuite et sa partie animée) est narré par un simili-James Baldwin dépouillé de toute sa pensée politique pour n’être plus qu’un chroniqueur mondain frayant volontiers avec la police. Un autre problème, de structure, est que le cinéaste gère très mal la forme du film à sketchs. Chaque segment annule le précédent, tant aucun lien n’est tissé entre eux ; de plus ces parties centrales sont trop longues et anecdotiques, tandis qu’à l’inverse le prologue et l’épilogue sont trop vite expédiés, ne pouvant de fait porter le liant et l’émotion comme ils sont pensés pour le faire. Loin du New Yorker, The French Dispatch est un de ces magazines qui se feuillettent distraitement dans les salles d’attente des cabinets médicaux. Un film dont il ne reste après coup que la sensation d’un happening vain et éphémère.
THE FRENCH DISPATCH (Etats-Unis, 2020), un film de Wes Anderson, avec beaucoup trop de comédien.ne.s. Durée : 103 minutes. Sortie en France le 27 octobre 2021.