RETOUR A REIMS : une servitude sans fin

L’adaptation par Jean-Gabriel Périot de l’essai Retour à Reims de Didier Éribon (s’)impose (grâce à) deux choix forts : faire réciter le texte écrit à la première personne par une femme (Adèle Haenel), et le compléter par une somme conséquente d’images d’archives faisant intervenir autant de témoins distincts. Le récit initialement individuel d’Éribon devient ainsi un superbe manifeste collectif.

C’est un groupe entier qui s’exprime de cette manière sur les oppressions qu’il subit, en tant que femmes ou ouvriers, sans intermédiaire, avec un motif visuel fort mis en place par Périot au fil des archives télévisuelles (il y a également des extraits de films de fiction) qu’il utilise comme prolongement des mots d’Éribon : un microphone tendu par un reporter à un.e anonyme, qui peut raconter son expérience de dominé.e. Lorsque des intermédiaires finissent par s’immiscer, sous la forme des hommes politiques s’appropriant ces thématiques et prétendant parler au nom du peuple dans les années 1980 (et dans le dernier acte de Retour à Reims), cela aboutit à une trahison – ils se servent du peuple pour leur bénéfice personnel au lieu de le servir.

Le film souligne l’insupportable reproduction à l’infini des structures d’oppression et d’humiliation de classe et de sexe, héritage légué malgré soi de génération en génération

Cette trahison vient se cumuler à ce que le livre d’Éribon exposait (parfois de manière prémonitoire, puisqu’écrit en 2009 mais annonçant la trajectoire des années 2010, l’échec de la gauche et la percée de l’extrême-droite, par son analyse des années1980) et que le film souligne : l’insupportable reproduction à l’infini des structures d’oppression et d’humiliation de classe et de sexe, héritage légué malgré soi de génération en génération. Le récit de Retour à Reims prend sa source au sortir de la seconde guerre mondiale, et pourtant si peu a changé sur ces aspects sociaux. Alors Périot ne voit qu’une issue, inévitable même si elle doit dérégler son film en le faisant basculer dans ses ultimes minutes de la réflexion à l’émotion : la révolution.

RETOUR A REIMS (France, 2021), un film de Jean-Gabriel Périot, avec la voix de Adèle Haenel. Durée : 83 minutes. Sortie en France indéterminée.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

Articles: 529