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À l’image du père de famille au cœur de l’intrigue, bonhomme taiseux accusé de féminicide, Daniel Auteuil livre un film de procès moins simple qu’il n’en a l’air, jouant notamment de symboles dissimulés çà et là dans ses cadres pour étoffer un Fil faussement dénudé.
Cécile Milik, une mère de famille connue pour régulièrement cuver son vin sur le banc du village, est retrouvée un matin la gorge tranchée à l’orée de la forêt voisine. Son mari Nicolas Milik, un homme qui « ne boit que du lait » et père de famille aimant, est arrêté quelques heures plus tard.
Alors qu’il n’a plus plaidé aux assises depuis qu’il a fait innocenter un assassin notoire, Maître Jean Monier accepte de s’occuper de ce dossier criminel. A cela une raison : ses premiers échanges avec Milik lui donnent l’intime conviction qu’il est innocent. On a beau lui rappeler que son travail ne consiste pas à « sauver » mais à « défendre » l’accusé, l’avocat prend l’affaire très à cœur, peut-être trop, au risque de passer à côté de certains éléments.
En tant que réalisateur, Daniel Auteuil fait le choix de récuser la vue d’ensemble pour s’arrimer au seul point de vue du personnage qu’il incarne à l’écran, avocat confiant en apparence mais frêle intérieurement. À cet égard, le personnage se laisse régulièrement déborder par ses rêves et ses cauchemars ; rappelant en cela le précédent film d’Auteuil, Amoureux de ma femme (2018), dans lequel il jouait un homme perdant contact avec la réalité, s’échappant inlassablement dans la rêverie.
Dans Le fil, la volonté de se restreindre au seul point de vue de l’avocat explique aussi que l’on soit un temps décontenancé par l’évolution du récit : alors que l’on constate progressivement qu’un autre homme, le meilleur ami de Milik, pourrait aussi bien être accusé du même meurtre, cet axe semble d’abord inexplicablement négligé, avant que l’on ne comprenne que la trame se tissait hors-champ, son procès se déroulant en parallèle mais sans être traité narrativement de concert.
Constat corollaire, ce point de vue unique et dévorant place les spectatrices et les spectateurs dans une position délibérément inconfortable, contraint·e·s de percevoir Milik à travers les yeux de l’avocat. En résulte la vision d’une figure aimable et raisonnable, a contrario de son épouse assassinée, esquissant un portrait trop flatteur et flirtant par conséquent avec le masculinisme, avant-même de résoudre la question de sa culpabilité éventuelle.
Puis s’impose patiemment un travail de remodelage de caractérisation, eu égard à plusieurs personnages du film, réaxant son approche morale. Son titre s’en trouve justifié : Le fil se déroule et révèle progressivement une vision glaçante du mal et du mâle. À différents degrés, l’avocat, le mari, l’ami du mari, tous peuvent à leur façon faire froid dans le dos.
A l’instar d’Amoureux de ma femme, dans lequel Daniel Auteuil s’amusait à disposer dans ses cadres, et le plus souvent à l’arrière-plan, différents symboles secondant la trame principale du récit, ici le tableau d’un naufrage en mer, là des statues animalières venant affirmer le caractère des personnages, le réalisateur reconduit dans Le fil ce travail discret de mise en scène pour dévoiler certaines réflexions avant que le récit ne les explicite.
Au début du film, quand Jean Monier reçoit le tout premier appel à son domicile concernant l’affaire Milik, la caméra se déplace et invite dans le champ la présence d’une statuette représentant une scène de corrida (un tableau bord-cadre, pleinement visible au plan suivant répète par ailleurs le motif). Dès l’abord, on ne peut encore deviner que la corrida sera la métaphore filée de la relation unissant les personnages, ceux de Milik et Monier en particulier. D’ailleurs, dans cette saynète, Daniel Auteuil fait le point sur le personnage conversant au téléphone à l’arrière-plan plutôt que sur la statuette à l’avant-plan : le rapport de force entre les deux hommes n’existant pas encore, le symbole reste encore « flou ». Une fois le dossier accepté, l’avocat ayant pris connaissance des informations premières, il s’assied sur le banc du village, celui où Cécile Milik avait l’habitude de finir ses nuits quand alcoolisée, celui d’où son meurtrier l’a faite se lever avant de lui donner la mort en forêt peu après. Monier est assis sur le banc, déjà las et pensif, alors que sur le mur du bâtiment derrière lui se distinguent de nombreux posters, tous déchirés, tous à l’effigie d’un spectacle de corrida : c’est le puzzle qui se met en place, le puzzle dont les pièces sont encore en désordre, et que l’avocat va devoir réagencer pour y voir clair.
En marge de ce motif, quand Jean Monier s’éprend de son client, on le voit notamment passer devant une statue représentant un homme en portant un autre sur son dos. En marge toujours mais plus régulièrement, Auteuil insère aussi des flashbacks du moment du drame, lequel se déroule sur le « pont Van Gogh », or cette nuit-là par le jeu conjugué des phares et de la pluie, le lieu revêt l’apparence des quelques scènes vespérales et pointillistes chères au peintre néerlandais.
Et toujours, tout du long, notamment au travers des rêves de l’avocat, reviennent des images de corrida. Reste aux spectatrices et aux spectateurs de se faire leur propre idée sur ce que ces plans disent des relations des personnages à l’écran : qui est un danger pour qui, qui balade l’autre, qui agite le red flag.
LE FIL (France, 2024), un film de et avec Daniel Auteuil, aussi avec Grégory Gadebois, Alice Belaïdi, Gaëtan Roussel. Sortie en France le 11 septembre 2024.