OU EST ANNE FRANK ! : Trois souvenirs de son Journal

L’œuvre imaginée par Ari Folman autour de la figure d’Anne Frank est triple, car visant à jouer sur les trois angles d’attaque possibles de son sujet : la vie d’Anne, le journal, l’héritage mémoriel. Chacun de ces niveaux se voit consacrer un tiers du court (1h30) récit, qui s’en trouve éparpillé en plus d’autres soucis de fond venant plomber le film malgré ses nettes réussites formelles.

Où est Anne Frank (sans point d’interrogation, et même avec un point d’exclamation – nous y reviendrons) : elle est donc diffractée entre trois espaces du film, un tiers d’illustration de scènes tirées de son Journal, un tiers de visite des lieux de mémoire qui lui sont consacrés (à Amsterdam essentiellement), et un tiers de pure invention de fiction, qui voit l’amie imaginaire à qui Anne Frank écrivait son journal (Kitty) prendre vie et découvrir le monde contemporain. La juxtaposition de ces trois parties pose plus de problèmes qu’elle n’apporte d’intérêt ou d’émotions, car elles sont entremêlées – le récit s’en trouve morcelé, sans cesse interrompu et réactivé dans une autre direction – et très hétérogènes dans leurs registres, leurs personnages, leur finalité. De même, elles sont inégalement perméables à l’expression de la créativité graphique d’Ari Folman, qui ne peut se déployer que par jaillissements intenses vite stoppés – hormis lors d’un voyage hors d’Amsterdam, vers les camps où Anne et sa sœur furent assassinées avec tant d’autres. Le film trouve à cette occasion un souffle, une énergie mi-enragée mi-onirique, comme lors de cette vision d’une charge des Alliés contre les Nazis, qui par sa fougue et son foisonnement évoque tout à la fois Cloud Atlas (la notion de l’Union contre l’Unanimité), le précédent film de Folman Le congrès et Paprika.

L’ambition du final est de faire ouvrir les yeux au public sur le fait que garder en vie l’esprit d’Anne Frank ne consiste pas à apposer des plaques commémoratives en différents lieux (pourquoi alors avoir passé une heure à nous faire aller d’un lieu d’hommage inerte à un autre ?) mais à sauver les enfants réfugiés qui arrivent en Europe pour fuir la guerre, et qui sont dans le film les descendants des enfants massacrés par la Shoah

Puis le récit revient à Amsterdam, et à son état étriqué par son cahier des charges programmatique et trop didactique. L’ambition du final est de faire ouvrir les yeux au public sur le fait que garder en vie l’esprit d’Anne Frank ne consiste pas à apposer des plaques commémoratives en différents lieux (pourquoi alors avoir passé une heure à nous faire aller d’un lieu d’hommage inerte à un autre ?) mais à sauver les enfants réfugiés qui arrivent en Europe pour fuir la guerre, et qui sont dans le film les descendants des enfants massacrés par la Shoah. C’est le sens du point d’exclamation du titre, affirmation d’une indignation, d’une colère froide face à la répétition des mêmes maux, des mêmes ravages. Folman vise explicitement plus particulièrement la jeunesse dans son adresse, mettant ses espoirs en elle pour changer les choses (d’où le ton possiblement trop candide et simple du film, dans un souci trop appuyé d’accessibilité) ; mais dans le même temps il semble se méfier d’elle et fustige son indolence par des techniques parfois grossières (une représentation d’une pièce de théâtre consacrée à Anne Frank devant laquelle la plupart des adolescents présents dans le public sont rivés sur leurs téléphones). Pas sûr qu’un mélange de claques – symboliques – et de bons sentiments soit la meilleure recette pour réveiller les consciences.

OU EST ANNE FRANK ! (Where is Anne Frank, Belgique, 2021), un film de Ari Folman, avec Emily Carey, Ruby Stokes, Sebastian Croft. Durée : 99 minutes. Sortie en France le 24 novembre 2021.