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Ian et Barley, deux frères orphelins de père, se voient remettre pour les seize ans du premier un cadeau posthume de leur géniteur : une incantation (car les protagonistes évoluent dans un monde empreint de magie) permettant de le ramener à la vie le temps d’une journée, qu’il pourra ainsi passer en compagnie de ses enfants. Parce que seules ses jambes reviennent avant que le sortilège ne soit interrompu, Ian et Barley ont vingt-quatre heures pour tout réinventer : un nouveau sort, la quête qui les y mènera, et leur vie même au fil de ce périple. Et en à peine plus d’une heure et demie, ce que Pixar invente sous nos yeux est une nouvelle leçon époustouflante de narration et d’aventure, qui mêle à la perfection l’intime et le grand spectacle dans une succession de tours de magie – dont le plus fort est peut-être d’avoir failli réussir à nous faire croire qu’il n’y aurait rien de magique dans En avant.
En avant est le premier film original que nous offre Pixar depuis Coco, il y a plus de deux ans. Leur politique de multiplier les suites à leurs franchises célèbres a tendance à voiler le génie dont le studio est capable ; leurs œuvres orphelines telles que Vice-versa, Coco et donc cet En avant sont heureusement là pour faire office de merveilleuses piqûres de rappel. Dans ses premiers moments, ce nouvel opus fait certes craindre de manière fugitive la possibilité qu’il ne soit qu’un recyclage d’idées de Wall-E (une possible charge contre la technologie diminuant les êtres), Cars (renouer avec le legs des générations précédentes pour devenir meilleur) et Monstres & cie (un riche bestiaire coexistant dans un univers sans humains), dont Scanlon avait d’ailleurs réalisé la suite (Monstres academy). Il n’en sera rien, En avant parvenant à exister en traçant sa propre route de la même façon que ses héros. Le prologue qui nous présente ce monde imaginaire, et sa transition de la magie à la technologie, est déjà une réussite – une des marques de fabrique du studio. Mais c’est avec la scène qui lance l’épopée des deux frères, en imbriquant le plus naturellement du monde tous les éléments narratifs en apparence orphelins disséminés au préalable, qu’un déclic s’opère véritablement.
Scanlon partage là avec nous ce qui est en même temps le mode d’emploi et l’âme de son film : peu importe d’où viennent les pièces égarées ou esquintées que l’on trouve, l’important est où l’on souhaite aller, ce que l’on compte construire, avec elles. Créer ainsi à partir de fragments hétérogènes et singuliers de l’union, de la cohésion (prenant la forme d’une grande aventure, d’une famille (ré)unie, d’un film renversant) : c’est une définition possible de la magie dont les protagonistes de En avant sont nostalgiques, et que le film met en pratique à tous ses niveaux. Dans chacune de ses séquences (celles de la taverne aseptisée et à ranimer, de la poursuite sur l’autoroute, d’un interrogatoire où il est interdit de mentir, sont des modèles de narration au sein de la narration), dans la mécanique d’ensemble de son scénario (dont le détonateur constant est l’idée qu’il faut détruire pour vraiment reconstruire), dans la métamorphose progressive de la relation entre ses deux héros, initialement éloignés par leurs expériences individuelles et soudain réunis de force par leur quête.
Pixar s’inscrit dans une filiation directe avec l’esprit Amblin des eighties, dont J.J. Abrams s’était déjà fait l’héritier avec Super 8 – comme ce dernier, En avant réinvente à son tour le principe de héros adolescents qui inventent leur propre aventure à mesure qu’ils la vivent. Le film multiplie les clins d’œil, jamais lourds, toujours bien vus (ici à Ghostbusters, là à Retour vers le futur), avec surtout une forte dette envers Indiana Jones qui devient pleinement assumée au cours du dernier acte. On craignait un ersatz obsolète de Shrek ; à la place on voit se déplier devant nous un lumineux renouvellement de la foi spielbergienne en l’alchimie du fantastique et de l’humain, de l’innocence et de l’intégrité, qui sait toujours garder le demi-pas d’avance qu’il faut sur son public – moins, et on pourrait anticiper ce qui nous attend, plus, et on serait moins investis émotionnellement. Ce sens de la distance parfaite atteint son apogée dans le final, où l’idée de magie revient en force. Ce à quoi l’on assiste là est un tour de magie (trois, en fait ; concernant un dragon, une figure paternelle, et des retrouvailles) appliquant à la perfection le principe du « prestige » qui fait les meilleurs tours – nous surprendre non par malhonnêteté, mais en ayant su détourner notre attention de telle sorte que lorsque la finalité du tour surgit, elle paraît inattendue et pourtant évidente car tout était toujours là.
L’émotion, qu’elle soit comique, grisante, ou bouleversante, nous emporte alors avec cent fois plus d’intensité. On dit souvent (à raison) que les films Pixar sont bluffants visuellement. En avant rappelle que leurs grands films le sont avant tout par la grandeur de leurs scénarios. Il n’y a ici rien de tiré par les cheveux, de rentré au chausse-pied, d’excessif. Tout est simple, naturel, sincère ; respectueux du parcours des personnages (même une paire de jambes privée du reste de son corps) comme de la présence des spectateurs. Et c’est de cette somme de simplicités, de singularités orphelines, que le film tire son immense force.
EN AVANT (Onward, États-Unis, 2020), un film de Dan Scanlon, avec Chris Pratt, Tom Holland, Julia Louis-Dreyfus, Octavia Spencer. Durée : 103 minutes. Sortie en France le 4 mars 2020.