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Le festival en est à sa troisième édition, et après avoir élargi le nombre de salles l’an passé, il étend sa durée de vie cette fois-ci. Pour qui aime le cinéma d’auteur chinois contemporain, c’est un rendez-vous immanquable. Plutôt que de se contenter du best-of des sorties salles, de projeter une fois de plus les Diao Yinan, Jia Zhang-ke et autres Bi Gan salués ces derniers mois, l’ambition est toujours de défricher, et plus finement chaque année, semble-t-il.
Le festival a beau, et ce ouvertement puisque nommément, s’intéresser uniquement aux films « d’auteur » au sein de la production nationale chinoise, on ne remarque pas moins une volonté de présenter des œuvres hétéroclites, qu’il s’agisse de brasser à la fois fictions et documentaires, et en leur sein de varier les genres, les univers, les paysages, les âges.
Ceci étant, une propension particulière à examiner les liens du sang semble infuser un certain nombre des récits proposés cette année au Musée Guimet et au Studio des Ursulines. Du moins pour les films déjà vus, et dont on peut dès lors déjà parler, et vanter les mérites pour la plupart.
Il est question de procréation et d’avortement à la fois dans Balloon, dans Mosaic Portrait et dans le court-métrage What Do You Know About The Water And The Moon. En trois temps, le festival semble couvrir presque exhaustivement la question, à croire que les cinéastes se sont passé le mot pour se compléter si bien.
Balloon est le nouveau film du prolifique cinéaste tibétain Pema Tseden (Jinpa, tourné juste avant, sort en salles en France en février et celui-ci en juillet prochain). Il y est question d’un avortement contrarié et de la mort d’un aïeul, faisant rapidement affleurer la notion de réincarnation. C’est même le nœud du récit, cette mort comme un déclencheur. Avant de l’atteindre, lorsque les enjeux s’avèrent encore éparpillés, déjà intéressants en soi mais traités avec plus de légèreté et d’excentricité, la beauté du film est à son comble. Lorsque l’intrigue se lance enfin pleinement, paradoxalement, celle-ci se faisant soudainement plus solide, et le ton plus solennel, Balloon perd légèrement en étrangeté et son charme s’évapore un peu. Impossible de bouder complètement son plaisir, la mise en scène de Tseden reste inventive jusqu’au terme, et avec ses belles musiques, ses paysages dépaysants, ses comédiens attachants et son final, un peu trop écrit une fois de plus, mais très poétique, le film reste un beau voyage à faire en festival.
Dans Mosaic Portrait de Zhai Yixiang, quand une adolescente tombe enceinte, les soupçons se portent sur l’un de ses professeurs. L’établissement ne se presse pas pour mener l’enquête interne, la police prend l’affaire plus au sérieux mais n’avance pas faute de preuve et le père de la jeune fille, lui, tente de faire tomber le prof directement mais ne tâtonne pas moins. Elle, de son côté, s’interroge sur sa maternité, et sur la pérennité de sa maternité. Sans divulguer le cheminement précis de l’intrigue policière de Mosaic Portrait, et sans tomber dans le piège qui sacrifierait la parole fragile des femmes victimes sur l’autel du twist narratif de petit malin, l’auteur fait le pari risqué de résoudre sans emphase cet aspect du récit aux deux-tiers pour insister sur ce qui l’intéressait réellement depuis le début : le chemin sentimental sinueux parcouru par son héroïne, les contradictions profondes qui l’animent, sa reconstruction patiente. De fait, cet ultime mouvement est bien le plus séduisant, et la toute dernière séquence en est la plus forte : alors que l’ado participe à une chorale qui reprend en mandarin « Vois sur ton chemin » du film français Les choristes (Christophe Barratier, 2004), et une fois que l’on s’est fait à cette idée (!), on ne peut qu’admirer le travail conjugué du cinéaste, du chef opérateur Weihua Wang et de l’interprète Zhang Tongxi pour faire de ces quelques secondes précédant le générique de fin un moment de grâce. C’est un peu tardif mais ce n’est pas rien.
Du long de son petit quart d’heure, What Do You Know About The Water And The Moon de Luo Jian ne parle lui que d’avortement, mais il ne le fait pas exactement frontalement non plus puisque le film se pare d’un reflet fantastique : en avortant par elle-même, l’héroïne n’a pas rejeté un fœtus humain de son propre corps mais une petite méduse, vivante. A cette infime différence près, Luo Jian n’en discoure pas moins sur ce sujet à la fois social et sentimental, et sans ambages : en clinique, quand la jeune femme demande si beaucoup de femmes viennent comme elle pour ce « problème » qu’est l’avortement, la sage-femme lui répond sans délai que « l’avortement n’est pas un problème, mais juste un choix« . La patiente se retourne et observe une publicité sur le mur d’en face : « Cure de jouvence de 3 minutes : l’avortement volontaire ». On est loin des panneaux publicitaires d’antan sur la politique anti-nataliste – comme on peut par exemple en voir dans les séquences des années 1980 de So Long, My Son (Wang Xiaoshuai, 2019) – évoquant en creux les affres sous-jacents de l’avortement illégal.
Un fœtus meurt et une méduse renaît dans ce court-métrage. Le postulat de Together Apart de Qu Youjia n’est finalement pas si éloigné : l’histoire de cet autre court de la sélection, court mais un peu plus long (52 minutes), est celle du retour d’un grand-père auprès des siens quelques heures à peine après qu’ils l’aient enterré. Le jeune cinéaste filme cet improbable retour à la vie avec autant de simplicité que Kiyoshi Kurosawa dans Kaïro (2001) ou Vers l’autre rive (2015), ou encore Robin Campillo dans Les revenants (2004). Persistance des morts, persistance rétinienne, Qu Youjia travaille le motif de la lumière – d’une façon moins ostensible mais aussi belle et sensée que dans Vers l’autre rive d’ailleurs – se servant d’un rayon de soleil, d’un reflet, du flash d’un appareil photo pour instiller par sa mise en scène le sentiment du passage de la vie à la mort, de la mort à la vie. C’est un film formidable, et son auteur n’a peut-être pas encore été identifié comme tel depuis la Première du film en Chine en 2019, mais il vient en moins d’une heure de se placer sur la liste des dernières grandes révélations du cinéma d’auteur chinois de ces deux ou trois années, aux côtés de Qiu Sheng (Suburban Birds, 2018) ou Gu Xiaogang (Séjour dans les monts Fuchun, 2019). C’est naturellement une séance incontournable du festival cette année, et d’autant plus qu’elle précède une table ronde de prestige (détails au dernier paragraphe).
Deux documentaires de cet édition 2020 tissent aussi des liens autour des liens : Breathless Animals et Present.Perfect. Le premier des deux ne parle que de famille. Par soustraction, le second en parle aussi du fait qu’il s’agisse du grand hors-champ de cet agrégat composite de flux streamés de réseaux sociaux dépeignant à dessein ou involontairement l’ultra-moderne solitude de ses «anchors» se filmant à la première personne.
Réalisé par son fils Lei Lei, Breathless Animals est le portrait d’une femme aujourd’hui âgée qui aura vu plusieurs hommes de sa vie envoyés dans des camps dits de « rééducation » pendant la Révolution culturelle. S’appuyant sur un unique témoignage audio, Lei Lei ne montre jamais sa mère à l’écran mais illustre ses propos, et plus souvent encore les seconde, avec un amas fourmillant d’images d’archives éparses. Dans ses plus beaux passages, les collages ressemblent presque à du Guy Maddin ou du Jean Lecointre, quand d’autres mouvements s’avèrent plus confus et répétitifs. La forme curieuse qu’épouse ce documentaire semble finalement offrir à cette femme les rêves qu’elle a manqués, peuplés des figures oubliées, et retrouvées. C’est à peu près quand cette logique créative se dessine que la parole de la mère se précise : elle évoque plus tangiblement le retour de son père, son amour pour ses enfants. Sur le fil, on sent qu’on parvient enfin à la comprendre et à la connaître.
Les figures au cœur de Present.Perfect de Shengze Zhu, ayant pour particularité d’être pour la majorité en situation de handicap, n’ont à l’inverse aucune volonté de faire dans l’atermoiement, et c’est d’ailleurs peut-être précisément cela qui les rend touchantes : chacune et chacun aime se livrer sans détour, seul·e face à la caméra, pleinement conscient·e de la cruauté potentielle du hors-champ où se tapissent les internautes, mais néanmoins armé·e·s de courage par cet invisible.
Une grosse poignée d’autres films du festival 2020 restent encore à découvrir, et sauront peut-être d’une part rejoindre les quelques chouchous déjà désignés de cette édition, et possiblement d’une autre grandir les rangs desdits «liens du sang».
Parmi eux, et en particulier, Fish Park de Chai Xiaoyu, parce qu’il est précédé d’une réputation flatteuse, et du fait que le protagoniste qui « n’a pas connu ses parents et a été élevé par son oncle », nous précisant le synopsis, semble bien armé pour rejoindre ce corpus naissant.
Spring Tide de Lina Yang évoque quant à lui trois femmes d’une même famille vivant sous un même toit, pour un postulat qui n’est pas sans rappeler le réjouissant Girls always happy de Yang Mingming (2018).
Enfin, A Dog barking at the moon de Xiang Zi traite de la relation d’une jeune femme « rentrant en Chine pour voir ses parents, avec son mari rencontré aux Etats-Unis » et, dans le cas présent, on imagine plutôt un cousin relativement éloigné de L’adieu de Lulu Wang (2019).
Il ne fallait pas l’oublier : le mercredi 29 janvier au Musée Guimet, à 14h, précédée de la fameuse projection de Together Apart, se tiendra une table ronde non moins immanquable : la grande spécialiste du cinéma chinois Marie-Pierre Duhamel y participe, et quatre autres sommités l’accompagnent : Brigitte Duzan (qui, entre autres faits d’armes, tient le site chinesemovies.com.fr), Xiang Zi (réalisatrice de A dog barking at the moon), l’actrice-productrice-mémoire vivante Xu Feng et enfin le critique de cinéma Jean-Michel Frodon.
Le festival Allers-retours – Cinéma d’auteur chinois se déroule à Paris du 24 au 29 janvier au Musée national des arts plastiques – Guimet (16ème) ainsi que du 28 janvier au 4 février au cinéma Studio des Ursulines (5ème).