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Chaque année, c’est une agréable surprise de constater la capacité de l’équipe du Cinémed (festival du cinéma méditerranéen, à Montpellier) à se saisir de l’actualité, du moment. Sans trop en faire, la convergence des personnalités permet, de manière élégante, une programmation variée tout en tenant un souffle quasi cohérent entre tous les films. Comme avec le palmarès très féminin de 2018 (Fiore gemello, Sibel…), nous retrouvons cette année des sujets tournant autour de la famille et de la filiation. En pleine discussion sur la PMA, sur ce qu’est l’héritage, la parentalité, l’amour filial (ou peut-être son absence), les grands titres de cette édition résonnent ainsi fortement avec les “thématiques” de 2019. Et tant mieux ! L’occasion d’inscrire un débat dans des œuvres pour un public large (et toujours fidèle) tout en apportant sa pierre à l’édifice.
Un palmarès qui termine sur un ex-aequo n’a malheureusement jamais vraiment la carrure d’un palmarès suprême, évident. C’est la preuve qu’aucun film n’a réussi à se maintenir au-dessus. Et ce n’est pas la faute des films eux-mêmes, mais bien d’une édition plus égalitaire et équilibrée. Rien d’évident finalement dans tous ces films.
L’un des gagnants, Stitches, possède ces qualités un peu neutres. Miroslav Terzic nous conte très finement l’histoire d’Anna, persuadée que son enfant lui a été volé à la naissance. Un film purement balkanique, les couleurs, les textures, les silences, nous sommes bien en Serbie. Le sujet n’est tellement pas négligeable que le contenu reste intéressant. À la recherche du vrai, à cette possible révélation du mensonge, s’ajoute ce sentiment de solitude qui s’empare de cette héroïne. Personne n’envisage qu’elle ait raison, ne veut croire en la parole d’une femme, qui n’apparaît que folle et hystérique sans un temps de considération de la part de ses interlocuteurs. Son intention même est remise en question. Nous la sentons prise dans une spirale, piégée dans cet espace muré où quoique vous disiez sonne comme pathologique et paranoïaque. Stitches s’inscrit dans une mouvance sur la parole libérée : prendre en compte l’expérience vécue par cette femme et l’écouter. L’histoire touche précisément à ces thèmes : la maternité au sens large, la possession de l’enfant… et plus que tout, cette impression que personne ne vous croit ou ne vous écoute. Dommage que la forme reste sobre, propre, avec un petit manque de saveur. Depuis quelques temps au Cinemed, les Balkans amènent un cinéma qui a du mal à s’affranchir de son passé, qui porte encore la marque froide d’une pesanteur nostalgique non voulue.
À l’opposé, l’Italie semble transcender ce qu’il leur reste de leur crise. Sole de Carlo Sironi, le co-vainqueur, est exactement à l’image de ses pays de production : polonais et italien. Transitoire entre le rapeux que l’on aurait pu trouver chez Bouliagov et le spleen fantasmagorique d’un Garonne, le film nous décrit une histoire d’amour naissante entre une jeune polonaise, Lena, porteuse d’un enfant qu’elle fera adopter et le jeune italien, Ermanno, qui la chaperonne pendant les dernières semaines de grossesse.
Carlo Sironi travaille dès son premier plan sur la profondeur de champ : un scooter en premier plan, un autre qui arrive en deuxième. Le premier scooter sera volé. Situation, conséquence, résultat en un plan. Tout le film fonctionne dans cette économie. La caméra glisse, faisant de longs traveling et panoramiques, accompagnant juste à côté, les deux jeunes héros, touchants.
Le discours est quelque peu étrange : alors que Sironi nous vend un vrai questionnement sur la maternité pour ce personnage de jeune femme qui veut continuer sa vie au-delà de cette grossesse et qui ne trouve initialement pas d’intérêt à cet enfant (ce qui amène un regard original sur la façon d’être mère : tout simplement, considérer que ce n’est pas obligatoire de l’être, de le vouloir, de le sentir), la relation avec Ermanno devient amoureuse, affectueuse. On finit par ne plus savoir si ce qu’elle va regretter est l’enfant ou cette relation. Pourtant la distinction est primordiale et n’est pas résolue à la fin du film. Cette conclusion amène un doute quant à la vision trop ambiguë du réalisateur : questionne-t-il la parentalité, ou bien veut-il que nous revenions à la notion d’amour inné, obligatoire, didacticiel pour un enfant, même celui qu’on ne veut pas, qu’on ne peut pas garder ?
Filmé en 4/3, dans des lumières bleutées et travaillées, avec des costumes quotidiens, le film reste d’une douceur évidente et d’une émotion vibrante. Quelque chose de poétique s’échappe des personnages, des images, des intentions. Sans trop de mots, sans trop de fioritures, Sironi dessine des moments intenses et précieux. Il filme l’amour naissant avec une honnêteté toute naturelle et agréable. Et à la question d’être mère, il ajoute celle d’être parent d’un enfant que l’on n’a pas conçu. Ermanno se prend d’affection pour ce bébé mais aussi pour Lena. Le propos de Sole porte sur ce que nous construisons dans une cellule familiale, uniquement basée sur une envie douce d’être ensemble. Ainsi c’est dans un décor dur, dans des couleurs crasses, que Sironi effleure le sentiment d’amour, d’entente, une sensualité timide mais sincère.
La place du père, celle du parent adoptif et adopté, c’est le thème central de Un fils de Mehdi M. Barsaoui, qui aurait largement pu être le chouchou du public (avec à l’écran l’acteur bien aimé du festival, Sami Bouajila). Mais peut-être le sujet est trop rude, et c’est ce qui en fait une histoire essentielle : en 2015, en Tunisie, Farès et Meriem sont pris dans une embuscade terroriste. Leur fils Aziz reçoit une balle au ventre. Il faut lui greffer en urgence un nouveau foie pour qu’il reste en vie. En faisant les tests de compatibilité, il est révélé que Farès n’est pas le père. Crise de couple, maintien de la structure familiale, dureté des écarts… Dans un environnement hospitalier indigent, Meriem cherche à retrouver son amant de l’époque, prise dans le dilemme douloureux de ce qui sera bon pour son fils. Farès se tourne quant à lui vers une clinique privée qui semble pouvoir livrer le foie bien portant d’un enfant du même âge. Entre don d’organe douteux et violence de la situation géopolitique (les enfants « donneurs » arrivent de la Lybie voisine), nos protagonistes naviguent dans ce triste récit avec humanité. Un fils est un beau film. Sa facture reste traditionnelle mais c’est le sujet qui porte la grâce. Peu de fois nous voyons la notion de filiation aussi travaillée, avec une telle rudesse de l’âme humaine. Barsaoui pointe l’instantanéité de l’amour parental (quelqu’en soit sa structure génétique), sa sensibilité arbitraire. Le film en devient un pamphlet appréciable à l’heure des débats sur la PMA : sous une forme populaire, reconnaissable, les sentiments, l’amour restent. C’est ce qui porte nos personnages et de fait notre émotion en tant que spectateur.
Abordant autrement les questionnements sur la maternité, Certified mail décrit la dépression post-partum de Hala, trentenaire dépressive, clouée à l’inaction par la mort de son père dont elle n’arrive pas à se remettre. Hisham Saqri y confronte la société égyptienne face au fait d’être une bonne mère. Plusieurs fois, l’on entend ces phrases assassines sur l’allaitement, sur la présence dans le foyer. Mais Hala n’est que l’ombre d’elle-même, fumant cigarette sur cigarette, dans le silence, un quotidien où rien n’a de saveur et où il n’y a ni envie ni désir. Le portrait de la dépression est assez juste mais le film semble commencer bien trop tard : Certified mail part dans plusieurs directions sans jamais véritablement en suivre une. En voulant dessiner cet état de lenteur et de vide, Saqri passe à côté de tous les sujets et ne prend pas cette opportunité de faire un film sur l’ennui. Étrangement, le film évoque Roma d’Alfonso Cuaron, cette libération à se séparer d’un fantôme ou à faire le deuil, mais ici la salvation n’est jamais vraiment là. Le film se termine mollement là où il devrait nous faire respirer, prendre notre envol. L’intrigue n’est pas assez construite, la tension n’est pas assez lisible pour que le dénouement apporte un quelconque soulagement. À noter que plusieurs choix de la part du réalisateur auraient pu amener à une plus grande richesse émotionnelle et narrative, mais restent à l’état de tentatives avortées. Par rapport au reste du film, la thématique du rêve est travaillée de manière directe et plus intéressante : fenêtre sur l’héroïne qui tout d’un coup échange avec le monde réel, avec son mari. Elle exprime des peurs, des sensations et nous voyons, même péniblement, se dresser des névroses.
En plus de cette thématique de la filiation, un fil rouge plus fabuleux semblait se dérouler au Cinemed : dans 1982, Oualid Mouaness raconte l’invasion du Liban à travers la journée d’un petit garçon amoureux et d’une maîtresse d’école tiraillée entre ses principes, sa famille et son compagnon. Dernier jour d’école, examens, perspective des vacances, nous suivons Wissam pour qui l’ultime but est de déclarer sa flamme à Joanna avant de ne plus la voir. Alors que les avions de guerre survolent Beyrouth, que la fumée des bombes s’échappe du centre-ville, les enfants se retrouvent coupés de l’actualité, observant à distance, depuis leur école internationale, petit paradis aux pierres blanches sur les hauteurs de la ville. 1982 est un film de « journée particulière », mêlant la grande histoire au quotidien de ses personnages. Face à l’événement traumatique, le petit Wissam fait preuve d’une imagination débordante, navigant dans sa vie crayons à la main. Il dessine des super-héros, colorés, puissants. Par moment, le film prend de ses couleurs et nous offre une vision romancée des lieux, des moments. L’imagination créatrice comme résilience à la guerre devient le sujet de Mouaness même si son film n’explore malheureusement que partiellement ses pistes fantastiques ou fantasmées.
Enfin, au milieu d’une sélection consistante et cohérente, à laquelle on peut reprocher une certaine timidité créativité ou un manque d’impression choc, il y a Red Fields. Ici, le fantastique, l’inconscient sont présents, sous une forme inattendue. Impossible de rester insensible devant ce drame musical inspiré d’un opéra rock sur l’Israël des années 1980, même si en tant que spectateur, il faut dépasser plusieurs embûches avant de se sentir concerné, compréhensif, ouvert. Il faut s’habituer à la langue chantée, au style musical, à ce mélange de folklore et de rock dissonant… passé cela, le film reste un ovni total. Il est difficile à prendre en main, en tête et à cœur parce que Keren Yedaya (qui avait reçu la Caméra d’or à Cannes en 2004 pour Mon trésor) parle en filigrane d’Israël aujourd’hui comme le font les israéliens : sous un angle politique et sociétal, arguant que la situation avec la Palestine est UN des problèmes, mais pas l’unique. Mami, jeune mariée, récupère un époux blessé à vie et handicapé après son service militaire. Sans réfléchir, elle l’emmène à Tel Aviv, là où nous passons à travers un paysage de personnages tous plus durs les uns que les autres : le patron de bar frauduleux, les palestiniens vindicateurs, la mère maquerelle soudoyée pour des opérations de lobotomie. Soudain, le film, qui explose déjà tout ce que l’on peut attendre d’une comédie musicale, passe en mode politique : Mami fait campagne, candidate démago et pro-tout. Elle est élue pour se retrouver à nouveau sur la paille. La dernière partie du film passe très rapidement et on comprend à ce moment que le discours de la réalisatrice est une mise en lumière très engagée de la situation actuelle de son pays : manque de générosité, décisions dangereuses, politique beaucoup trop à droite.
La poésie du musical n’étant pas un choix de la réalisatrice, on peut être réticent à entrer dans le film. Pourtant, c’est aussi ce qui en fait son intérêt : le musical qui est en lui-même l’expression de paroles intérieures, prend ici de la puissance. Ce que son héroïne réalise, accomplit. Un rappel de la force de chacun. Une note de persévérance et de rage.
On ne peut se sortir de ce résultat en demi-teinte. Surtout quand il récompense deux films au ressenti cinématographique si différents. Pourtant la notion d’illusion, d’imagination, de rêve, nous reste. À partir de ces récits de temps plus sombres, ces révélations irrémédiables, la dureté de l’épiphanie, nous arrivons sur l’espoir d’un monde différent. Pas tant celui du possible et du futur que le monde intérieur des personnages, leur proposition d’un espace onirique, bon ou mauvais, dans cet inconscient qui ne connaît pas la dissociation entre les deux. Tous les héros parlent de rêveries et de mensonges, de la distinction non obligatoire entre le vrai et le faux et de l’acceptation d’un espace d’espoir et de poésie. Les notions de cauchemar et de rêve s’entremêlent parce qu’il n’y a rien de manichéen dans l’inconscient de nos personnages. Ils nous donnent l’espoir dans la force de l’inspiration et de la création : dessiner, imaginer, rêver… même les pires noirceurs, même les tréfonds sensibles les plus troubles. On peut enfin ouvrir notre imagination, la tordre pour voir le monde entre rêve et réel, comme les protagonistes de ces films qui sont un rappel que cet hypothétique fantasme existe, comme une solution viable à la vie. Ces personnages sont un peu fous. Et alors ? S’ils avancent ainsi.
La 41ème édition du Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier s’est déroulée du 18 au 26 octobre 2019.