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Los Angeles, 1969. Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) est une star de la télévision sur le déclin, passée du statut de premier rôle à celui de guest star pour jouer les méchants. La carrière de cascadeur de Cliff Booth (Brad Pitt), sa doublure attitrée, suit inévitablement la même voie en pente descendante. En compagnie de ces personnages et de leurs épatants interprètes, Quentin Tarantino nous emmène dans une balade élégiaque au sein des rêves envolés et des cauchemars émergents (Charles Manson rôde dans les environs, Rick Dalton est le voisin de Sharon Tate) de son enfance.
La présentation de Once upon a time… in Hollywood est affaire de comptes ronds : 25 ans après la Palme d’or remise à Pulp Fiction, 50 ans après l’année où son action se déroule. Une année charnière terrible, au cours de laquelle l’utopie insouciante des années 60 a été stoppée net, le rêve virant au cauchemar avec les drames du concert des Rolling Stones à Altamont (documenté dans Gimme Shelter), et du meurtre de l’actrice Sharon Tate et de quatre de ses amis par des membres de la « Manson Family ». Les fantômes de Charles Manson et de Sharon Tate habitent le film de Quentin Tarantino, mais de manière indirecte, puisque le cinéaste nous fait littéralement nous intéresser à ce qui se passe à côté – dans la maison et dans la vie du voisin de Sharon Tate.
Rick, et Cliff qui est son meilleur ami à la ville en plus d’être sa doublure au travail, sont les savoureux guides que nous assigne Tarantino pour une visite guidée de deux jours au cœur des lieux hollywoodiens de production, réalisation, diffusion. Once upon a time… in Hollywood s’ouvre sur une réplique d’une émission de télévision entrouvrant au public la porte des coulisses d’Hollywood ; puis il nous en propose une version longue, autrement plus authentique et sincère, n’ayant quasiment aucun autre but narratif deux heures durant que le plaisir partagé de la promenade et de la réminiscence. En interview, Tarantino a fait le lien entre son film et Roma d’Alfonso Cuaron, à raison. Comme son condisciple mexicain, il a recréé le paradis perdu de son enfance le temps d’un film, qui fédère son regard d’alors et son talent d’aujourd’hui. Les trajets en voiture dans les rues de Los Angeles éclairées par les devantures de cinémas et affiches de films, les discussions sur les plateaux de tournage au milieu des maquilleurs et des cascadeurs, les tournages en eux-mêmes de polars et de westerns faits pour nourrir un flux de diffusion, et néanmoins réalisés et interprétés en y donnant le meilleur de soi-même : tout cela est reconstitué non seulement à la perfection, mais en plus de manière si vivante et attachante que l’on partage le sentiment de plénitude du cinéaste et des personnages à y évoluer.
Hormis dans certaines parties de Jackie Brown, Tarantino ne s’est d’ailleurs jamais montré aussi sobre dans sa mise en scène qu’ici. Il ne se comporte pas en enfant provocateur (et brillant) qui tord et triture ses jouets à coups d’effets de fragmentation, détournement, collage, mais en adulte nostalgique et attentif à son sujet et ses personnages. Il les accompagne, par exemple avec les magnifiques plans fixes serrés sur son visage qu’il offre à Leonardo DiCaprio lors des prises de dialogues, réussies ou ratées, dont Rick s’acquitte sur le tournage d’un épisode de western. Ou encore avec le choix méticuleux de la date du récit, les 8 et 9 février. Il s’agit du week-end où pour la dernière fois, un film dans lequel a joué Sharon Tate est sorti de son vivant – Matt Helm règle son compte (The Wrecking Crew) – et donc de la dernière fois où elle a pu se rendre dans une salle de cinéma pour se voir à l’écran. Tarantino fantasme cet acte dans une séquence d’une grande douceur, où son fétichisme pour les détails et pour les acteurs se matérialise en un hommage délicat. Une autre scène de mise en abyme, plus modeste mais tout aussi touchant, vient conclure ces deux premiers tiers de Once upon a time… in Hollywood. Rick et Cliff se retrouvent le soir dans la maison du premier pour regarder la diffusion d’un épisode de polar où il tient le rôle du méchant. C’est la fin parfaite, tranquille et anti-spectaculaire, à leur journée de travail, à la balade mémorielle du film, à la peinture de la bromance idyllique entre les deux hommes écrite et interprétée avec un plaisir et un talent fous par le trio Tarantino – Pitt – DiCaprio, que l’on a rarement vus aussi bons et aussi libres.
C’est une fin qui semble promettre que toutes les journées après celle-ci apporteront le même bonheur simple. Malheureusement, en 1969 l’âge d’or d’Hollywood est également périclitant, de façon moins abrupte mais tout aussi irréversible. La vague du « Nouvel Hollywood » s’est déjà formée, les westerns se délocalisent, tournés en Espagne par des metteurs en scène italiens. Tarantino évoque ce changement d’ère de manière directe par petites touches (un montage racontant le séjour européen de Rick et Cliff), et de façon symbolique au cours d’un impressionnant moment de montage parallèle, entre le tournage du western à l’ancienne, divertissant, de Rick et l’arrivée de Cliff dans un lieu aux allures de décor de western crépusculaire. La séquence possède la même valeur documentaire que le reste (le lieu est le Spahn Ranch où la Manson Family résidait, selon un mode de fonctionnement que le passage de Cliff permet de décrire fidèlement, à la manière d’un témoignage neutre et sans interaction), tout en étant porteuse à nos yeux de spectateur moderne d’une tétanisante angoisse morbide. L’endroit, son ambiance, la famille qui y vit sont annoncent Massacre à la tronçonneuse, et l’époque dont ce film sera le porte-drapeau, l’exorcisme fictionnel de ses cauchemars réels dont le premier a eu lieu le 9 août 1969.
Le dernier acte de Once upon a time… in Hollywood prend place en ce jour, accompagné dans son ouverture par les acteurs involontaires de l’autre cauchemar de 1969, les Rolling Stones dont Tarantino utilise à très bon escient la superbe chanson Out of Time. C’est sa manière de signifier qu’en ce jour fatal où l’on bascule sans prévenir de l’atmosphère de Roma à celle de Us, il va prendre plus expressément la main sur son récit, dans la forme et le fond, sa part de réalité et celle de fiction, l’enfer et le paradis. D’invite au souvenir, le « Il était une fois… » du titre passe à son sens d’amorce de conte, habité du fol espoir qu’à la fin de la projection, ainsi qu’un personnage s’en enquiert auprès de Rick, tout le monde aille bien et soit heureux, à l’écran et dans la salle.
ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD (États-Unis, 2019), un film de Quentin Tarantino, avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Dakota Fanning, Al Pacino. Durée : 161 minutes. Sortie en France le 14 août 2019.