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C’est un The Big Lebowski à jeun, c’est un Inherent Vice qui ne nous perdrait jamais mais nous surprendrait toujours, Under the Silver Lake de David Robert Mitchell (It follows) est une quête renversante, légèrement angoissante, profondément angoissée.
La toute première scène de Under the Silver Lake montre une laveuse de carreau cherchant à nettoyer une inscription sur la vitrine du restaurant qui l’emploie (« Beware the dog killer »). Le geste à la fois indolent et appliqué de la jeune femme agit sur le motif de son t-shirt, et en particulier sur l’œil de Mick Jagger qui y est imprimé : le regard du chanteur semble maintenant se déplacer aux quatre coins du « D » majuscule du mot « Dog » lui faisant face.
David Robert Mitchell nous annoncerait ainsi discrètement ce qu’il attend de nous : que l’on se montrer actif et que l’on furète face à ses images à venir, comme le fait le Stone durant ce prologue mais sans être stone nous-mêmes ; car Under the Silver Lake n’est pas un stoner movie, à un passage près rapidement évacué au sens propre et figuré, c’est plutôt un récit de néo-noir aux idées claires, et ceci lui va d’ailleurs bien au teint.
L’intrigue du film se résume à une enquête menée tambour battant dans Los Angeles, enquête que chacun peut dès lors mener de concert avec le protagoniste Sam (Andrew Garfield). En l’occurrence, le jeune homme se lance à la recherche de sa voisine Sarah (Riley Keough), une jeune femme qu’il connaît à peine mais dont la disparition soudaine l’intrigue suffisamment pour braver les dangers et chercher à comprendre ce qui lui est arrivé.
Comme le soldat Belmondo dans L’homme de Rio (Philippe De Broca, 1959), comme Milou dans Tintin – Le secret de la licorne (Steven Spielberg, 2012), la grande et périlleuse aventure débute pour Sam quand il saute par la fenêtre et se met à la poursuite d’une voiture dont les propriétaires viennent de kidnapper Sarah, dans son cas. En termes cinégéniques, tout cela est déjà emballant, mais c’est aussi la fenêtre comme symbole de l’écran qui donne sa valeur à chacune de ces trois séquences jumelles. Comme chez De Broca ou Spielberg, est implicitement et d’emblée induit un rapprochement entre le protagoniste et ceux qui le regardent, métaphoriquement invité·e·s à pénétrer l’écran pour s’identifier plus encore au personnage et à sa quête naissante. Dans le cas de Under the Silver Lake, la fenêtre-écran se charge toutefois d’une dimension meta plus importante encore, tant le film parle de pop culture et de Hollywood en particulier.
Le t-shirt à l’effigie de Mick Jagger expose d’entrée de jeu une idée essentielle que le film répétera inlassablement via nombre de motifs analogues : des « masques de vie » moulés sur des stars hollywoodiennes mortes et d’autres qui ne le sont pas encore ; la projection en plein air et dans un cimetière d’une version imaginaire de The Myth of the American Sleepover, premier long-métrage de David Robert Mitchell (2010) ; une guitare ayant appartenu à Kurt Cobain présentée comme le Saint Graal ; un poster de Nirvana signé par… la fille de Kurt Cobain, relique en demi-teinte que Sam se sent obligé de contrebalancer par une anecdote flatteuse, celle d’avoir assisté à un concert du groupe culte dans sa jeunesse. A chaque fois passe la même idée d’une survivance extrêmement friable de la création artistique et de celles et ceux qui leur donnent vie.
A travers Los Angeles, l’enquête de Sam le dirige vers le cimetière transformé en cinéma de plein air susnommé, mais aussi vers une crypte mortuaire devenu salle de concert. La prééminence de la mort et de la disparition dans la représentation de Hollywood traduit cette angoisse de la mortalité des œuvres, des créateurs et créatrices, et a fortiori des angelenos. Car la population de Los Angeles est à la fois partie prenante de cette création, puisque celles et ceux que l’on croise font partie de l’industrie, ou plus encore en ont fait partie, mais jouent aussi ce rôle de miroir des spectateurs, figures tout aussi sensibles à la machine à rêves (nous sommes bien au cinéma, face à Under the Silver Lake), et tout aussi sensibles à la pop culture. Quant à celles représentées à l’écran et gravitant à plus ou moins grande distance des hautes sphères hollywoodiennes, David Robert Mitchell porte une attention particulière sur trois d’entre elles, trois ex-actrices – et notamment des ersatz fictifs de celles de son propre The Myth of the American Sleepover – devenus escort girls, symbole tangible et terrible de sa vision d’un Hollywood dévorant – et jamais rassasié puisque d’autres comédiennes, plus jeunes, ont déjà repris leurs rôles. Et parmi ces figures, il y a aussi Sam, celui qui n’a plus de travail, qui dit seulement en avoir un pour écourter les appels téléphoniques de sa mère mais qui n’en a pas. Sam vit à L.A, il a la trentaine, des posters de cinéma sur les murs de son appartement, autant d’indices plus simples à décoder que ceux de sa propre enquête, autant d’indices pour hasarder qu’il a emménagé près de Hollywood quelques années plus tôt, pour devenir acteur ou bien scénariste, mais que le rêve a tourné au cauchemar. Ou plutôt qu’il tourne au cauchemar.
Si David Robert Mitchell rend Sam malaimable, ce n’est pas tant par souci de caractérisation réaliste ou par défi que pour traduire le mal-être du personnage. Il est terrible de l’entendre dire qu’il hait les sans-abris de sa ville, qu’ils le dégoûtent, qu’ils ne sont autres que de vulgaires ectoplasmes à ses yeux. Seulement, à défaut de l’excuser, ses propos expliquent sa crainte grandissante à chaque instant d’être expulsé de son appartement et de finir à la rue. Au fil du récit, il perd sa voiture, il se fait asperger par un putois, il côtoie un étrange personnage dénommé « Roi des clodos », il se met à utiliser le Code des vagabonds pour déchiffrer d’éventuels symboles sur les murs de la ville, autant de signes d’une « clochardisation » du personnage.
Il dit aussi avoir perdu son chien récemment, ce dont on peut douter, mais il s’agirait alors d’un symbole de plus – pour un ensemble rappelant la chute sociale décrite par Kelly Reichardt dans Wendy & Lucy (2008), qui voyait le personnage principal perdre successivement sa voiture, son chien, ses vêtements, et l’idée même d’une sédentarisation.
On pourra dès lors supposer que l’angoisse de Sam n’a d’égal que celle de David Robert Mitchell lui-même (même si l’intéressé nous a répondu ne pas voir les choses ainsi !). A l’aune du réseau de symboles d’une industrie hollywoodienne qui broie les stars et qui peine à maintenir en vie leur souvenir et ceux de leurs œuvres, à l’aune du miroir déformant d’un protagoniste luttant contre sa propre disparition, Under the Silver Lake deviendrait l’autoportrait quelque peu déformant d’un cinéaste en pleine gloire qui assure à ceux qui le regardent qu’il sait que rien n’est acquis et que tout se perd. Une forme d’humilité qui se décline à coups de références à ses deux films passés : comme dit plus haut, The Myth of the American Sleepover se joue dans un cimetière et ses stars sont déjà retombée dans l’anonymat, alors que It follows (2004) réapparaît furtivement lors d’une scène d’effroi singeant le concept de son film d’horreur, lorsque Sam est poursuivi par une silhouette angoissante… exception faire que le passage s’achève cette fois par un pied-de-nez presque moqueur.
Under the Silver Lake est finalement moins un film d’angoisse que d’angoissé, conjugué au futur proche (que devient l’artiste après la gloire ?) autant qu’au futur (que devient la gloire après la mort ?). A défaut d’être rassuré à ses égards, le spectateur peut toujours se contenter du présent, celui d’une projection en particulier, celui d’un oublier salutaire, oubli du monde le temps d’un film, hasardons deux heures et quelques, en apnée, sous un lac argenté.
UNDER THE SILVER LAKE (Etats-Unis, 2018), un film de David Robert Mitchell, avec Andrew Garfield, Riley Keough, India Menuez, Jimmi Simpson. Durée : 149 minutes. Sortie en France le 8 juillet 2018.