COBY : le changement, c’est toujours et pour tout le monde

Quand Suzanna choisit de changer de sexe à son adolescence, pour devenir Coby, elle tient le journal de sa transition sur YouTube. Cinq ans plus tard son beau-frère cinéaste, Christian Sonderegger, prend le relais avec un documentaire en forme de point d’étape. Il rassemble les regards de Coby lui-même et de ses proches sur ce qu’a été ce parcours hors norme, et sur la suite du chemin pour maintenant et le futur, dans un film qui brille par sa douceur sereine à l’égard de ses protagonistes, et son émerveillement délicat face au potentiel infini et permanent d’évolution de l’humain.

Christian Sonderegger nous fait rencontrer Coby, au début du film qui porte le prénom qu’il s’est choisi, dans son travail au quotidien : ambulancier urgentiste. Mais il ne choisit pas n’importe laquelle des interventions auxquelles il a dû assister. La scène qu’il nous montre, le sauvetage d’un tout jeune bébé pris de convulsions, se penche à la manière d’une bonne fée sur la destinée du film à venir, en lui attribuant dès ses premières minutes son thème (la naissance) et sa perspective – tout ira bien. On se rappellera particulièrement de ce mantra bienveillant à l’autre extrémité du récit, quand viendra le moment pour Coby de subir une nouvelle opération chirurgicale liée à son processus de transition sexuelle. Grâce à ce que le film a véhiculé comme sentiments depuis le début, nous savons que cette opération se passera bien. Et qu’elle est une étape de plus sur le chemin de la nouvelle naissance de Coby, laquelle est illustrée de la plus belle des manières par la succession d’extraits audio au générique de fin : Coby nous disant bonjour à plusieurs moments de sa transition, avec une voix à chaque fois différente, à chaque fois réinventée. C’est toujours la même personne qui parle et elle est toujours neuve.

Coby est une variante intimiste des épopées grandioses des sœurs Wachowski qui sont animées par la même flamme – célébrer l’humanité et encourager la meilleure part de son âme, celle qui nous pousse à nous améliorer et à nous surprendre sans cesse en bien

C’est ce vertige merveilleux que Sonderegger enregistre à travers son film : celui de découvrir tout ce qu’un humain est et peut être, plusieurs facettes à la fois, plusieurs êtres à la suite, au gré de l’enrichissement de nos sensations, de notre adaptation à nos expériences. Coby est ainsi une variante intimiste, subjective et en chambre, des épopées grandioses des sœurs Wachowski qui sont animées par la même flamme – célébrer l’humanité et encourager la meilleure part de son âme, celle qui nous pousse à nous améliorer et à nous surprendre sans cesse en bien. À l’échelle de Coby, cela s’exprime par exemple via l’étincelle dans le regard des parents et du frère du héros, tout étonnés que cela soit désormais normal pour eux d’avoir un fils ou un frère de plus ; et heureux en plus de cela de voir que cela n’a pas effacé leurs souvenirs de la première incarnation de Coby, qu’était Suzanna. Les deux temps de leur vie de famille se sont complétés et non pas annulés.

Étant au cœur de son sujet, cette complémentarité féconde est intelligemment mise au cœur du dispositif formel du film, grâce au dialogue instauré entre les témoignages recueillis aujourd’hui, et les vidéos YouTube enregistrées cinq ans auparavant par Coby et sa petite amie (les inserts de photos d’enfance, où l’on devrait lire une prédisposition à la métamorphose à venir, sont moins convaincants, mais c’est un détail). L’excitation des questions joyeusement posées alors – sur le sexe et le plaisir, la transformation du corps… – s’est apaisée, pour la meilleure des raisons : parce qu’elles ont trouvé des réponses positives et ont été remplacées par de nouvelles interrogations stimulantes, de nouvelles façons de se découvrir et se réinventer. Coby sait qu’il n’est qu’un récit particulier (le film ne s’arroge jamais le droit de donner des leçons, de clamer des allégations sur le monde), mais il sait aussi que tout récit particulier peut devenir un exemple, un support pour soutenir une vision du monde contre les autres. Cet exemple-ci, tendre et lumineux, fait beaucoup de bien.

Les suppléments du DVD (scènes coupées et extraits de vidéos YouTube de Coby et Sarah, interview de Coby et de Christian Sonderegger et discussion avec le public à l’issue d’une projection) prolongent cet état de bienveillance et de générosité. Sonderegger explique avoir pensé son documentaire de sorte à filmer, et donc diffuser, le bonheur et non le malheur, le bien-être et non la tension ; en partant du point d’arrivée de son sujet et en répondant donc à la question « je vis bien, comment en suis-je arrivé là ? » (plutôt que « vais-je y arriver ? »). Les interventions du cinéaste mettent en évidence la dualité qu’il visait pour son film, entre la conscience du fait que chaque histoire de transition est unique, singulière (comme l’est le rapport de chacun à soi, à son corps), et l’aspiration – via l’intégration des proches de Coby dans le champ du récit – à composer une œuvre qui ne soit pas de niche mais ouverte au monde entier, à tous les âges et tous les genres. Car les messages portés par Coby s’adressent à tous : comme le dit Sarah dans une des vidéos YouTube, « vos enfants n’ont pas à vivre la même vie que vous, vous pouvez faire autrement » et éviter les erreurs ou malheurs passé.e.s. À noter également, la belle visée pédagogique des bonus, puisque la rencontre enregistrée avec le public permet d’aborder nombre d’aspects d’une transition telle que celle de Coby : physiologiques, psychiques, mais aussi médicaux et légaux.

COBY (France, 2017), un film de Christian Sonderegger. Durée : 77 minutes. Sortie en salles en France le 28 mars 2018, et en DVD et VOD le 04 septembre 2018.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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