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L’édition anniversaire de Premiers Plans s’est ouverte le 12 Janvier 2018 à Angers. Depuis 30 ans, ce sont uniquement des premiers films qui passent les portes de la sélection. Un festival de premiers films, de premier ordre, de premières émotions.
Cette règle étant simple, on pensera trouver dans la sélection d’Angers uniquement des films de jeunes premiers et de jeunes premières. Ceci est faux. Il faut entendre « Premier Film » au sens premier. Ainsi, des cinéastes de tous âges, de toute l’Europe se croisent ici. Le festival est fidèle : des réalisateurs de courts-métrages reviennent quelques années plus tard avec leur premier long sous le bras. « Premier » ne veut donc pas dire jeunesse, ne veut pas dire amateur, ne veut pas dire brouillon. Par contre, il devient synonyme d’espoir, de lancement… Ici, on tâtonne, on se définit, mais avec pertinence. Le festival est un compagnon de début de route, qui se veut rassurant pour des talents qui ne demandent qu’à être entendus. C’est le festival de l’espoir, de la croyance, de la confiance. Et forcément, de l’envie pure, puisque tout est à découvrir, tout peut être envisager. On ne peut qu’être reconnaissant de la prise de risque sur la programmation, de cet engagement pour ces auteurs qui sortent du nid. Les films s’en ressentent : la passion pour le cinéma est palpable, encore intacte. Les réalisateurs prêts à se livrer sur un film, l’œuvre qui lancera leur carrière. Le résultat ? Des films directs, primaux, intransigeants.
Pourtant, le palmarès de tête est surprenant : un ex-æquo qui laisse un sentiment un peu amer, comme si l’intransigeance des œuvres n’avait pas été assumée par le jury.
Winter Brothers arrive du Danemark et de l’Islande. Le réalisateur, Hlynur Palmason a tourné sa petite vidéo de remerciements devant des montagnes enneigées. Manière de rappeler que le froid est bien là. Le film, quasiment en couleurs pastel, suit Emil, mineur qui deale de l’alcool clandestin. Personnage décalé dans un univers froid et fantasmatique, il est l’occasion de déployer la thématique de l’ostracisation dans un monde où personne n’est à sa place. C’est aussi l’histoire d’une relation fraternelle, d’une relation amoureuse et sexuelle et d’un homme face à sa possible histoire. Des thématiques traitées de manière franche et presque sulfureuse. Toutes les sélections s’en ressentent : abrasifs, à cœur ouvert, rude, étrange… tous les réalisateurs semblent s’être mis au diapason d’une atmosphère fantastique blindée de questionnements quotidiens.
Le prix est partagé avec Tesnota de Kantemir Balagov, film présenté à Cannes, section Un Certain Regard en 2017. Le réalisateur qui vient sur scène avec sa traductrice ne parle pas un mot d’anglais. Homme ovni, son film est une réussite maîtrisée, dissonante. Son actrice Darya Zhovner, qui remporte le prix pour son rôle de jeune juive russe dans les années 90, y est pour beaucoup. La promiscuité, la tendresse, la violence… tout passe par elle, ses gestes, ses regards, sa manière définitive de s’enfouir dans les bras de l’homme qu’elle aime, ses yeux rieurs, moqueurs, rebelles qu’elle tourne vers son père. Elle n’est pas le centre du film au sens habituel du terme. Il n’y a rien de l’ordre du réalisateur amoureux chez Balagov : il y a juste le personnage, l’humain. Elle est passionnante et chaleureuse dans sa complexité. Elle est dure et froide dans sa gentillesse. Zhovner crève l’écran et bosse dur pour que rien ne soit effleuré. Balagov capture un moment ; son actrice l’aide visiblement et participe à la création. Elle lui indique que c’est à cet instant précis que la magie va opérer. Leur danse en duo fonctionne parfaitement là dessus. Une mécanique invisible, bien rodée, possiblement intuitive et qui rend chaque minute fascinante, saisissante.
Tesnota est une œuvre fragile et puissante à la fois. La preuve qu’on peut déjà construire un univers et une grammaire puissants dès le premier film. Balagov ne souffre que de peu de travers de jeunesse. Il accentue des choix de texture et de couleur, il assume un cinéma très sensoriel tout en étant ancré dans son histoire (Tesnota n’est pas un film d’ambiance).
On retient que les thématiques se croisent. Falling de Marina Stepanska montre aussi une Europe de l’est d’il y a peu. La question de l’être face à ses possibilités, la tragédie qui s’impose à ses jeunes adultes. Le croisement de ces sujets est peut-être trop évident après plusieurs jours de festivals. Des sujets vus et souvent revus : adolescence, passage à l’âge adulte, enfant en voyage initiatique… Même constat pour Manuel de Dario Albertini qui repart avec le prix du meilleur acteur. Et même si on peut reconnaître à Lattanzi une vraie capacité à incarner tout un enchevêtrement d’émotions et cette métaphore du concept de l’adolescent, nous retombons sur les mêmes questionnements. On trouve presque rafraîchissant un court-métrage sur une relation amoureuse de deux homos dont un atteint du sida (Passée l’aube de Nicolas Graux). Les deux films français du palmarès changent un peu la donne. Jusqu’à la garde de Xavier Legrand remporte le prix du public et s’assure un succès en salle : thriller familial, du fantastique dans le film de mœurs (encore une fois, un enfant !). Sur ce point, et détonnant de tout, Shadow Animals, court-métrage suédois, rappelle qu’on peut faire un premier film et avoir une patte, une signature. L’enfant y est ici simple véhicule des émotions du spectateur, confident dérouté et déroutant. Jerry Carlsson, définitivement à suivre, avec son cinéma millimétré, son monde normal anormal et ses danses rituelles de sociabilité.
Est-ce que la première œuvre est forcément celle de l’enfance ? Est-ce que le premier film est forcément autobiographique, emprunt de cette teinte mélancolique, ce souvenir un peu flou et violent de l’adolescence ? C’est ce qui semble ressortir de la plupart des œuvres présentées. Malheureusement, le total rend le tout redondant. On se dit qu’il y a peu de voix singulières. Même Manuel, malgré un réalisateur plus âgé, ne passe pas la grille de lecture de l’être qui s’affirme et qui grandit. Même la qualité visuelle de Valley of Shadows ne sauve pas un sujet vu et revu de l’enfant qui se perd (partant de rien, pour rien, en revenant à rien). Hors compétition, il y le film de Bertrand Mandico en plein milieu et même s’il parle de jeunes garçons, la forme de ces Garçons sauvages est tellement étrange, abrasive, perturbante que le contenu est explosé : le résultat en fait un film trop engagé artistiquement pour être neutre. Il est alors aussi difficile de le comparer aux autres. Et bien qu’il ne puisse pas concourir pour la compétition européenne, on ne peut que féliciter la différence de fond et de forme de cette création. Très étrangement, Les Versets de l’oubli (film chilien, français et iranien) dénote complètement de la sélection en empruntant aux codes du cinéma sud américain avec l’histoire d’un vieux fossoyeur qui refuse de partir à la retraite : le film de Alizera Khatami s’inscrit dans une tradition très latine de la comédie douce amère, lente, poétique, mais très quotidienne. Finalement, c’est là que l’on comprend l’emballement pour Tesnota. Le film ex-nihilo n’existe pas ! D’autant plus pour une première œuvre. Cependant, Balagov arrive à nous faire croire qu’il n’y a rien avant, qu’il est sous le joug d’aucune référence. Il nous fait oublier que son film est nourri d’autres. Il vit au-delà d’une construction référentielle ou d’une histoire cinématographique. Balagov nous propose autre chose… et c’est fascinant de le voir faire, dès le premier long-métrage.
La plupart de ces films ont une tendance à définir une ambiance plus qu’un contenu. Nous restons un peu sur notre faim. Tout est beau, tout est travaillé… Il manque parfois d’histoire. Il manque de la richesse de narration. Tout est simple et efficace mais peut-être trop. Là encore, Tesnota passe le test : Ila, son personnage principal, grandit, elle prend ses responsabilités ou du moins fait des choix… Mais ce n’est pas le sujet. Balagov va au-delà, enrichit de milles idées son thème. Son personnage sera toujours intransigeant, jeune ou non. Ila sera toujours passionnée, adolescente ou non. Il n’y a pas que les parents et les enfants qui vont partir du nid : il y a de la politique, de l’historique, de l’amour, du folklore juif, des histoires de village, des histoires de communauté. C’est l’histoire de se débarrasser ou non de tout ça.
A cette image, les créateurs de cette édition devront se débarrasser de leur bagages pour en avoir d’autres. On leur souhaite d’en accumuler de nouveaux.
Le festival Premiers Plans d’Angers s’est déroulé du 12 au 21 Janvier 2018