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Dans ce biopic d’un autre âge, d’une platitude désarmante, Jacques Doillon fait s’interroger le sculpteur Auguste Rodin sur sa technicité et notamment sur le pouvoir de la lumière… mais n’applique absolument pas les préceptes à son propre travail.
C’est l’une des premières scènes du film : dans son atelier, Auguste Rodin (Vincent Lindon) réfléchit à l’élaboration de sa Porte de l’enfer (1880-1997) puis il rejoint Camille Claudel (Izïa Higelin) dans la pièce voisine et s’attarde sur sa dernière sculpture en date. Il l’observe mais curieusement, on ne la voit pas, du moins pas dans l’immédiat. Le problème est le suivant : la main noire est filmée dans le même axe que le montant de la fenêtre à l’arrière-plan, également sombre. Plus tard dans le film, Rodin discute avec Claude Monet, soudainement ébahi par un tableau du peintre, négligemment posée au pied d’une colonne de la terrasse. Et là encore, on ne voit pas la toile, pas d’emblée : elle fait partie de la série des Cathédrales de Rouen de Monet, exécutée avec des tons pâles, et l’on peine à la distinguer, posée contre une colonne blanche.
C’est à se demander si Jacques Doillon ne l’a pas fait exprès, désireux de tenir un discours sur l’apparition et la révélation de l’objet artistique. Seulement, il laisse tant Rodin s’épancher sur les pouvoirs conjugués de la terre et de la lumière qu’en comparaison, son désintérêt pour le même type de questionnement appliqué à son propre médium ne risque guère de s’expliquer par ce sens caché.
Au-delà de la lumière, le cinéaste apparaît au moins aussi négligeant quand il s’agit du placement de la caméra. Même si Doillon ne semble avoir jamais réussi ses plans-séquences jusqu’à leur terme, Rodin n’en est pas moins composé d’une succession de longs échanges durant lesquels la caméra suit à la trace les personnages. Problème : elle semble le faire de façon aléatoire, si bien que les personnages sortent parfois du cadre sans raison, avant même d’avoir fini de parler, le chef opérateur essayant de les rattraper tant bien que mal. Que ce soit chez les control freaks Hong Sangsoo ou Ruben Östlund, ou bien chez le chef d’orchestre boulimique et faussement désinvolte Terrence Malick, il serait impensable qu’un seul mouvement de caméra ne réponde à aucune logique émotionnelle et/ou narrative. Pourtant ici, c’est le cas.
Pour enfoncer le clou, autant mentionner les autres motifs d’étonnement tels que : ce raccord malvenu quand les modèles envahissent l’atelier de Rodin au début du film, perceptibles une demi-seconde à l’arrière-plan avant de les retrouver déjà engagées dans la pièce au suivant, filmé depuis l’angle opposé ; ce plan hideux quand les amants s’embrassent sur un lit, les pieds de Camille Claudel à l’avant-plan, déformés par un grand angle ; l’impossibilité de comprendre un traitre mot de tous ceux que mâchent Vincent Lindon pendant deux heures ; le fait que les deux plus beaux plans du film ne durent pas assez longtemps, qu’il s’agisse de simples nuages ou de trois corps enlacés derrière une porte vitrée déréalisant les silhouettes – et à nouveau, le spectateur se demande si Jacques Doillon n’interroge jamais son propre travail.
Mais réempruntons la Porte de l’enfer. Elle est évoquée avant même le premier plan du film : un carton la met en exergue, ce qui n’empêche pourtant pas Jacques Doillon de s’intéresser pendant presque tout le film à une toute autre œuvre, son Monument à Balzac (1898), qui lui valut de nombreuses critiques à l’époque, mais qu’il savait seulement en avance sur son temps. C’est pour cette raison que le film s’achève avec une séquence documentaire tournée début 2017, dans le jardin du musée japonais où la sculpture est aujourd’hui exposée. Il s’agit d’ailleurs de la seule séquence pour laquelle Doillon, si tant est qu’il l’ait tournée lui-même, se pose ostensiblement la question de la lumière et valorise une création par la mise en scène. Quant à ce type de basculement final au cours du défilement cinématographique, reposant sur un changement de régime d’image (bond temporel en option), il n’est pas aussi surprenant qu’il le fut quand Abbas Kiarostami dévoilait Le goût de la cerise en 1997 par exemple, et d’autant moins au regard de La liste de Schindler de Steven Spielberg quelques années plus tôt, ou de Carnets de voyage de Walter Salles et L’apollonide de Bertrand Bonello plus récemment. Cela étant, il faut admettre que cette dernière scène tempère le sentiment qui primait jusqu’alors : la photographie, les musiques, le rythme, le jeu de comédiens, tout fait de Rodin un film d’un autre temps, non pas qu’il ait les apparences d’un film d’il y a trente ans, mais bien de celles d’un mauvais film d’il y a trente ans. Ceci explique qu’au terme de la première projection cannoise du film, un journaliste hispanophone ait hurlé : «Cinéma de vieux !» – pique qu’il avait certainement préparée depuis une heure et qu’il n’a pas réfrénée malgré une scène finale contredisant au moins un peu son propos.
Mais sachez que si vous souhaitez voir un jour une œuvre qui parle de sculpture, de création, de l’obsession et du besoin pour l’artiste de préciser son geste des mois et des années durant, un film qui traite de cela et des passions, de l’amour et du sexe, et des imbrications destructrices de tout cela, il en est un autre que Rodin, infiniment plus beau, plus riche, plus émouvant, plus élégant, plus surprenant, c’est A brief history of Princess X de Gabriel Abrantes. Et il ne dure pas deux heures, il dure six minutes.
RODIN (France, 2017), un film de Jacques Doillon, avec Vincent Lindon, Izïa Higelin, Séverine Caneele… Durée : 1h59. Sortie en France le 24 mai 2017.