Newsletter Subscribe
Enter your email address below and subscribe to our newsletter
En ces temps troublés de reculade politique droitière, aux États-Unis et en Grande-Bretagne notamment, le cinéma crypto-subversif reprend du galon de façon joliment retorse et détournée. Ça fait un bien fou.
Il faut croire que l’âme est au punk cette année. Pas sous la forme de ce folklore eighties qui essaime partout et que des jeunes adultes déjà gâteux sucent comme une hostie, et dont les papes s’appellent Nichols, Abrams ou David Robert Mitchell (à ne pas confondre avec John Cameron Mitchell, ndlr). Mais précisément d’un vrai punk, tour à tour pessimiste et rigolard, qui entend bien dessiner un bon gros A cerclé de noir sur ces idoles du vieux monde dont on a fait un culte idiot.
Le premier jet n’a pas un mois et déjà, il traçait la ligne non pas rageuse, mais moqueuse d’une génération qui entend mener d’autres combats. C’était James Gunn et ses Gardiens de la Galaxie (Vol.2), tentative d’entrisme malin des studios Marvel, où il s’agissait d’une part de refuser sa paternité au nouveau cinéma de papa que représente dorénavant Carpenter ; d’autre part d’opérer une déportation du regard vers les véritables enjeux politiques et narratif du 21e siècle. Refuser cette paternité d’abord, en renvoyant le mythe Jeff Bridges (et Starman avec lui) à de simples figurines en vinyle, aussi kitchs que figées, pour offrir de majestueuses funérailles au seul personnage à crête, au paria, comme s’il s’agissait d’un pastiche d’Imitation of Life, film qui pervertissait lui aussi la fabrique des studios.
Déporter le regard ensuite, en refusant de filmer les démonstrations de puissance, shoot d’adrénaline pourtant au centre des préoccupations de la franchise. Ce n’est pas un hasard si ce gros fuck libérateur jaillit précisément aujourd’hui. Il vient déjà, nous l’avons dit, après une longue chaîne réactionnaire de films Werther’s Original. Mais il vient aussi après la résurgence monstrueuse et débridée du reaganisme, tout entière synthétisée dans l’élection de Donald Trump et manifestée à l’écran par une élite aussi idiote qu’impitoyable, toute de feuilles d’or recouverte. L’acteur devenu président laisse la place au businessman jaune et adipeux, animateur de télé-réalité à ses heures. Il n’est pas très compliqué de voir dans cette critique, le réquisitoire adressé à ce nouveau monde qui n’a rien de neuf et qui préfère reculer.
Incroyablement, le double parallèle avec le beau film de John Cameron Mitchell, How to Talk to Girls at Parties (adapté de Neil Gaiman), quelques trois semaines après, au festival de Cannes, confine à l’alignement astral, le même qui a rendu possible l’élection d’Emmanuel Macron. Cette fois-ci, c’est dans l’Angleterre de Thatcher que l’intrigue prend place, au moment-même où, IRL, Teresa May gouverne d’une main de fer une Albion moins perfide qu’abandonnée à son brutal Brexit.
Et c’est bien de ça dont il s’agit. On croit d’abord à un énième panégyrique de cette belle époque où la crête et les Sex Pistols se portaient haut, l’énième film doudou des pisse-copie des pages musiques de Pitchfork ou Rolling Stones. Pas du tout : l’égérie de Vivienne Westwood (rigolote Nicole Kidman, à contre-emploi) et les jeunes fanzineurs en herbe y sont bien davantage moqués que célébrés.
Il est assez confus de vouloir résumer ce teen-movie doublé d’une allégorie politique fantasque et d’un film de science-fiction à sa seule intrigue, assez emberlificotée, on peut donc se contenter d’écrire qu’il s’agit d’une histoire d’amour entre un jeune loser et une extra-terrestre (coucou Starman), ex-virus dont la dernière mue prend forme humaine. C’est d’abord de la résistance à ce microbe, tour à tour présenté comme le Sida puis comme une forme d’organisation totalitaire que Mitchell s’attèle, drôlement, tristement, et enfin avec l’apaisement du sale gosse devenu papa. Mais s’il s’agit de refuser le caractère viral des relations (on peut d’ailleurs y voir un pied de nez à l’Internet), ce n’est que pour lui substituer l’épanchement et la révolte. Épanchement plutôt que contamination dans l’amour entre le joli virus en quête d’émancipation (Elle Fanning) et le jeune kepon dégingandé (Alex sharp) ; révolte contre la volonté d’isolement et de disparition, en somme, contre le Brexit.
Dans ce joyeux bordel, transpirent les hommages à If… pour les seventies, leur indiscipline et leur bestiaire, l’ode gay, la grâce punk d’un Jubilee de Derek Jarman et l’humour déjanté du Kaboom d’Araki. La forme y est moins aimable, certes, mais l’enthousiasme de Mitchell très, très communicatif. C’est notamment grâce au comique de situation né d’une confrontation entre le langage proto-sectaire des bactéries/aliens et celui des hommes. Cela offre à certains dialogues savoureux la teneur de ceux de Being There d’Hal Ashby où les plus banals conseils horticoles d’un jardinier un peu simplet (merveilleux Peter Sellers) étaient comprises comme des oracles. C’est probablement de cette fausse incommunicabilité (puisqu’on ne voit bien qu’avec le cœur), semblable au dialogue pas si sourd entre Whitaker et Bankolé dans Ghost Dog de Jarmush, que naît le rire d’abord, le beau trouble amoureux ensuite, et pour finir la belle concorde.
No Future peut-être, mais il reste le vibrant, le rayonnant présent qu’il reste à embrasser fougueusement pour le rendre plus amène.
Et très honnêtement, dans la très morne Compétition Officielle de cette 70e , un petit coup d’amour vache arrosé de 8.6, ça peut pas faire de mal.
HOW TO TALK TO GIRLS AT PARTIES (Etats-Unis, 2017), un film de John Cameron Mitchell, avec Nicole Kidman, Elle Fanning, Ruth Wilson… Durée : 1h42. Sortie en France indéterminée.