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« Comment ça va ? » « Oh, comme un lundi… ». La Semaine (de la Critique) commence mal donc, mais l’on espère retrouver le sourire au fil des séances de cette 56ème édition. A regret, Sicilian Ghost Story, son film d’ouverture, passé par Sundance, s’avère poussif, cruel et interminable.
Quand un film est long, celui-ci dure deux heures, et le paraît plus encore, disons deux et demi en durée ressentie, il est toujours intéressant de repenser rétrospectivement aux premières minutes. Cala semble si loin. Quand celles de Sicilian Ghost Story reviennent à l’esprit, elles charrient avec elles l’espoir tari d’un film aimable. En particulier, on se remémore un plan, quasi inaugural, qui montrait le jeune Giuseppe (Gaetano Fernandez) quitter le flot de ses camarades se rendant au collège local pour emprunter un chemin de traverse, tunnel végétal, accès dérobé vers un autre monde possible. Moment d’espoir donc, certes pour le jeune personnage qui sera bientôt enlevé et séquestré par la mafia, sous les yeux ou presque de sa petite amie Luna (Julia Jedlikowska), mais aussi pour le spectateur, qui à cet instant s’imaginait encore que le film tienne toutes ses promesses, distillant les prémices d’un beau conte fantastique sur la disparition, les interdits, les transgressions adolescentes. Pour être honnête, il ressemble bien à cela pendant près d’une heure, quand les deux teens s’apprivoisent, s’aventurent en forêt – les coréalisateurs auraient pu tirer un film entier de leur affrontement avec un chien féroce, séquence terrifiante ! – et encore un peu quand ils se manquent, le drame ayant soudainement frappé. Les deux cinéastes, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, dont il s’agit du second long après Salvo, donnent à ressentir l’absence de Giuseppe par des plans étonnants, au ras du sol, en grand angle, accentuant certes pas subtilement mais sensiblement l’immensité du désert affectif dans lequel se trouve plongée Luna.
Puis le tunnel fait place à un lac, dans ce grand fourre-tout symboliste que devient petit à petit Sicilian Ghost Story. Un lac tel un passage secret, mental peut-être, pour que Luna puisse rejoindre son bien-aimé. Il y a aussi un dessin dans sa chambre. Ah, un hibou aussi, qui voyage potentiellement d’un espace à l’autre, prolongeant le désir illusoire des amants distants, et qui les observait dès la première moitié du récit en vue subjective, ce dont le spectateur ne pouvait douter mais que les deux réalisateurs révèlent néanmoins in fine comme s’il s’agissait d’un coup de théâtre. Et…
…il y a ce basculement profond. Attention, le dévoiler n’est pas anodin, c’est un élément-clé de l’intrigue. Reste que s’il s’agit d’un spoiler, alors le titre du film en est déjà un. Il intervient dans la seconde part du récit : méprisé par un père gangster qui ne cède pas aux demandes des ravisseurs et préfère ses affaires, Giuseppe est lâchement tué au bout de 779 jours de captivité. Ce n’est qu’une fois le film terminé, et non en préambule, que les coréalisateurs précisent qu’il s’agissait d’une histoire vraie et d’un «hommage» à Giuseppe di Matteo, garçon de 12 ans réellement décédé en 1996, après deux années de séquestration par la mafia.
Décision curieuse voire douteuse d’en faire une révélation finale, presque un twist là encore, mais qui cette fois dérange autrement plus que la nature des plans subjectifs d’un oiseau. S’il s’agissait du calvaire véritable d’un enfant, la question se pose plus assurément encore : est-ce utile de le montrer souillé par ses propres excréments ? De filmer le cadavre puis de revenir sur sa mise à mort à l’aide d’un flashback, décrivant frontalement sa strangulation ? De montrer son corps dissout dans de l’acide puis jeté à la mer, ses restes s’éparpillant dans l’immensité sous-marine ? Prétendument poétique, le plan de cette dispersion est détestable. Mais il serait encore acceptable si l’intention était de filmer Luna se baigner plus tard dans cette même eau, le rejoignant ainsi d’une façon morbide mais le rejoignant néanmoins. Or, ce n’est pas même le cas puisque Luna est rattrapée par un groupe d’amis avant de se jeter à l’eau. En revanche, à l’arrière plan, au loin, ultime symbole de l’ensemble, le fantôme de Giuseppe plonge nu dans la mer et se mêle ainsi à ses propres vestiges visqueux. Ah. Il faut dire qu’avant d’en arriver là, alors que l’enfant était transporté d’un lieu secret à un autre, l’empathie à son égard avait atteint son paroxysme lorsqu’il avait osé demander au conducteur de la sortir du coffre d’une voiture pour voir la mer. L’homme s’exécute mais la mer n’est pas dans leur champ de vision, et Giuseppe ne peut que la sentir. Elle était pourtant à quelques dizaines à peine, précisent les réalisateurs quand la caméra s’envole et nous en offre la vision. La cruauté, toujours.
Il faut dire que la tragédie est un puits sans fond ici, tout est toujours pire, à l’image des nouveaux geôliers du prisonnier, puisque l’un d’eux est un handicapé physique et moteur. C’était l’idée, n’est-ce pas ? Il sera celui qui refuse de porter le cadavre du fait qu’il ait déféqué en mourant. Mais Giuseppe est-il seulement mort, à cet instant ? Oui, puisque les personnages parlent de s’en «débarrasser» et surtout du fait que son propre esprit vienne le visiter, mais non puisqu’il bouge encore. Tel un mauvais remake des scènes avec Mimi Geignarde dans la saga Harry Potter, ou plus directement de triste série B Jamie Marks is dead (Carter Smith, 2014), le fantôme se pare d’un halo bleuté, sa peau est lisse, son corps dénudé – on l’a deviné, oui, marques d’innocence et de pureté, haut du panier des symboles.
On ne sait plus s’il rend visite à Luna, ou si elle rêve de lui, puisqu’il disparaît comme au sortir d’un songe, mais n’en finira pas moins par l’aider vers la fin du film, avant de réapparaître une dernière fois, mais cette fois habillé vêtu de son costume d’équitation favori.
Impossible d’y voir clair, malgré le halo, et d’autant plus que l’on croule sous les conclusions. Sicilian Ghost Story n’en finit plus de se terminer, les derniers plans potentiels s’accumulent, de quoi faire rougir Peter Jackson et son Retour du Roi. Plutôt que de se perdre ainsi, entre fantasme et réalité, on réalise que l’on aurait préféré une simple « Sicilian Story », sans « Ghost », et que le récit s’achève crument, au détour de cette plage, terreau des violences de la Cosa Nostra, comme jadis Gomorra de Matteo Garrone (2008), avec l’image d’une pelleteuse rejetant les corps de deux adolescents trop curieux. Le film de Grassadonia et Piazza en aurait été un autre, tout autre ; mais à quoi bon le fantasmer ? Le festivalier cannois pense déjà au suivant, de toute façon.
SICILIAN GHOST STORY (Italie, France, Suisse, 2017), un film de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, avec Julia Jedlikowska, Gaetano Fernandez, Sabine Timoteo. Durée : 122 minutes. Sortie en France le 15 novembre 2017.