OKJA, fable animaliste colossale

Au-delà de l’éreintante « polémique Netflix » ayant accompagné sa présentation cannoise, le nouveau film de Bong Joon-Ho propose un renouvellement de son cinéma : conte initiatique, film d’aventure et charge politique à la fois, Okja séduit et bouleverse avec un propos animaliste sans ambiguïté.

Okja a suscité une polémique dès l’annonce de sa sélection à Cannes : produit par Netflix, le film se passe de sortie dans les salles françaises en raison de la contraignante « chronologie des médias ». Ambiance, donc, à la première projection cannoise et dès le premier carton : le logo Netflix est reçu avec des sifflets (mais aussi quelques applaudissements).

Deux heures plus tard pourtant, c’est bien du film et seulement du film dont parlent les spectateurs. De cette histoire de petite fille qui va à l’autre bout du monde pour retrouver sa meilleur amie Okja, un cochon géant génétiquement modifié que la multinationale l’ayant créé cherche à reprendre. De son déroulement rocambolesque, de ses méchants « over the top », groupe d’amis sans peur et sans reproche, et de ses rebondissements à gogo. De sa morale animaliste, à la fois simple et subversive. Comme dans The Host ou Snowpiercer, Bong Joon-Ho met sa maîtrise formelle au service d’un récit d’anticipation porteur d’un propos corrosif. Mais avec Okja, dans un premier temps, cet aspect se cache derrière la simplicité d’un film familial coloré, d’un conte enfantin proche de Hayao Miyazaki, où le bonheur est figuré par une petite fille se promenant dans une forêt avec un animal fidèle et amusant. Changement de ton étonnant pour le cinéaste, avec notamment une adorable scène scato (si si…). Le film serait seulement mièvre s’il s’en tenait à cela, mais dès les premières scènes, on sent que l’on devra délaisser ce havre de paix pour affronter, là dehors, des forces obscures animées par l’argent, le cynisme et la violence.

Tilda Swinton dans OKA

Celles-ci sont figurées par l’entreprise Mirando (claire allusion à Monsanto, géant de l’agrotechnologie fréquemment conspué pour ses pratiques dangereuses à l’égard de la nature et de l’humain), avec à sa tête Lucy Mirando (Tilda Swinton). Comme souvent, l’actrice s’en donne à cœur joie dans un rôle de méchante excentrique qui s’avérera double (une sœur jumelle surgit dans le dernier quart du film, soit un rôle jumeau de celui qu’elle tenait dans Ave César ! des frères Coen). Dans le même registre grotesque, Jake Gyllenhaal joue un présentateur télé carriériste et sans gêne, figure publique de l’entreprise. Représentants du capitalisme mondialisé qui cherche à cacher ses pratiques ignobles sous une tonne de cuteness et de bien-pensance, ces personnages incarnent en grande partie la part bouffonne et satirique du film. Mais les deux comédiens en roue libre se tiennent à distance du véritable cœur de l’histoire.

animaux entassés et corps dépecés : il n’y a là aucune métaphore, que du littéral ; et pas d’anticipation, que du présent.

Car si l’on peut penser pendant un certain temps que Okja s’adresse avant tout aux enfants, les horreurs subies par l’animal du titre et ses congénères (en laboratoire puis en abattoir) deviennent au et fur à mesure presque insupportables. Dans la dernière partie, quand la petite Mija et ses amis du Front de libération animale vont chercher Okja pour l’empêcher d’être tuée, l’abattoir est présenté dans toute son horreur macabre, et les yeux de Mija qui se posent sur des animaux entassés et corps dépecés deviennent les nôtres. Il n’y a là aucune métaphore, que du littéral ; et pas d’anticipation, que du présent. Ce monde où des multinationales commercialisent des animaux créés en laboratoire et torturés, c’est déjà le nôtre, ces « super cochons » qu’on mène à la mort, ce sont tous les animaux tués chaque jour pour nourrir les humains. A ce moment, Okja ressemble moins à Peter et Elliott le dragon qu’à Gorge cœur ventre, le brûlot de Maud Alpi sorti en 2016, qui suivait jusqu’au bout du bout, dans l’abattoir, les vaches et les porcs aux regards tristes et émouvants.

OKJA de Bong Joon-Ho

Entre son incipit idyllique et son climax terrifiant, Mija rencontre un groupe de jeunes en lutte (non-violente) pour les droits des animaux, dont l’arrivée est d’ailleurs à l’origine de scènes d’action et de courses-poursuites brillamment découpées. Menés par Paul Dano, ceux-ci sont à la fois sympathiques et bizarres, admirables et crétins – alors que nous restons arrimés au point de vue de Mija, qui elle ne songe qu’à une chose : repartir avec Okja dans ses montagnes coréennes. L’ironie avec laquelle le cinéaste traite ces personnages de « gentils » est à l’image même du projet, qui interroge avec finesse nos rapports à l’animal, au capitalisme et à la mondialisation, mais aussi à l’engagement politique en général. Il reste difficile d’être sûr qu’un regard de cinéaste, aussi puissant soit-il, puisse faire basculer le nôtre. Mais à travers ce film à la fois grand public et radical, Bong Joon-Ho semble avoir envie d’y croire.

OKJA (Corée du Sud, Etats-Unis, 2017), un film de Bong Joon-Ho, avec Seo-Hyun Ahn, Tilda Swinton, Jake Gyllenhaal, Paul Dano. Durée : 118 minutes. Sortie digitale française le 28 juin 2017.