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L’année 2016 nous laissera avec des partis politiques de gauche en lambeaux, et une deuxième Palme d’Or pour Ken Loach (Moi, Daniel Blake). Il n’y a pas de rapport direct entre les deux évènements, mais un lien détourné via un autre film du cinéaste : Land and freedom, réalisé il y a vingt ans de cela, et dont le récit historique (sur les déchirements internes au camp républicain au cours de la Guerre d’Espagne) fait écho à la situation politique actuelle.
Ken Loach est à la gauche et à l’Europe ce que Clint Eastwood est à la droite et à l’Amérique : sa carrière a atteint des sommets après qu’il a tourné son film testament. Pour Eastwood ce fut Impitoyable en 1992, pour Loach Land and freedom en 1995. Celui-ci s’ouvre et se referme en effet avec le décès d’un porteur de la mémoire des luttes de la gauche révolutionnaire, un alter ego de Loach à l’époque de la Guerre d’Espagne (1936-1939). De son nom David Carr, ce personnage de fiction a tout consigné de ses années de lutte pour la république espagnole et contre Franco au travers de lettres, photos, coupures de presse que sa petite-fille récupère à sa mort. De la même manière, Loach n’a eu de cesse depuis un demi-siècle de faire des films fixant sur la pellicule ses convictions sociales et les combats politiques qu’elles le poussent à mener. Quand il réalise Land and freedom, il a d’ailleurs soixante ans, l’âge – utopique – de la retraite ; mais le passage de témoin vers une nouvelle génération de militants qu’il figure à la fin de ce film, via le personnage de la jeune héritière de Carr qui entonne l’Internationale en son honneur à ses funérailles, n’a pas eu lieu dans la réalité.
C’est malheureusement l’autre récit narré par Land and freedom qui a pris une valeur prémonitoire, en se réalisant depuis une fois de plus, dix fois de plus : la trahison de la gauche par elle-même. Le cas du Royaume-Uni de Ken Loach est particulièrement cruel puisque deux ans à peine après son film, en 1997, Tony Blair y accédait au pouvoir à la tête de son New Labour qui n’avait plus de travailliste que le nom en forme de cache-nez. Son précédent a ouvert la voie à nombre d’autres occurrences dans les pays occidentaux jusqu’à aujourd’hui, avec une fréquence qui va en augmentant – la Grèce, l’Espagne, la France, et les États-Unis où le barrage opposé à Sanders par Clinton a participé à ouvrir la voie au passage en force de Trump. Dans ce dernier exemple, comme dans ceux qui l’ont précédé, le processus à l’œuvre est toujours le même, et reste tristement identique à celui figuré dans Land and freedom, avec les conséquences dramatiques qu’il a eu au sein du camp républicain.
En réaction au putsch militaire de juillet 1936 se déploya en Espagne une aspiration révolutionnaire portée par la base, paysans, ouvriers, syndicats, visant à redonner plus de justice et d’équité au peuple. Cet élan et ses réalisations furent jugulés par la gauche plus institutionnelle, celle des partis aux stratégies prudentes qui se proclament raisonnables. Il n’est pas question pour eux de refonder la société, de renverser les règles, mais seulement de gagner la bataille selon les règles et sur le terrain établis comme seuls valides par l’ennemi – l’affrontement militaire alors, les élections politiques aujourd’hui. La reprise en main du camp républicain tourna au cauchemar, avec des combats fratricides et des purges que Loach donne à voir dans toute leur brutalité ; et au final le franquisme triompha, comme tous les tenants de la droite dure voire extrême ces temps-ci. Certes, aujourd’hui pour toute révolte Daniel Blake tagge gentiment son nom sur le mur de Pôle Emploi, mais Land and freedom reste lui un outil intemporel pour nourrir l’indignation et inspirer la poursuite du combat, malgré tout.
Land and freedom était présenté au 17ème Arras Film Festival, dans le cadre d’une rétrospective consacrée à la Guerre d’Espagne.