Envoyée spéciale à… ARRAS 2019 : 4 premiers longs-métrages français

Comme tous les ans depuis deux décennies, le festival d’Arras proposait cette année une sélection très large qui incluait un grand nombre de premiers longs-métrages français, offrant un possible aperçu de l’avenir du cinéma hexagonal « du milieu ». On s’attarde ici sur quatre d’entre eux.

Deux de Filippo Meneghetti est une histoire d’amour entre deux femmes âgées. Elles vivent l’une en face de l’autre au dernier étage d’un immeuble. Alors que l’une d’elles est victime d’un AVC, l’autre est dépossédée de cette relation, inconnue de tous, et doit trouver des stratagèmes pour continuer à voir la femme qu’elle aime. Le scénario écrit par le réalisateur avec Malysone Bovorasmy orchestre un habile changement de protagoniste au tiers du récit : après s’être focalisé sur Madeleine, ses relations avec ses enfants et son impossibilité de leur parler ouvertement, c’est Nina qui devient centrale, et son désir de retrouver Madeleine coûte que coûte, quitte à agir de manière irrationnelle voire cruelle. On est particulièrement intéressé par l’utilisation qui est faite de l’espace dans la mise en scène, avec ces deux appartements qui se font face et dont le palier est tantôt un lien (avec les portes de chaque logement grandes ouvertes) tantôt une frontière entre ces deux femmes. Le film emprunte à certains moments aux codes du thriller, installant une tension efficace qui l’éloigne du mélodrame naturaliste qu’il est aussi en partie. Film le plus « auteur » parmi les quatre premiers longs français vus pendant le festival, Deux est aussi le seul à s’intéresser à des protagonistes âgées. Les trois autres ont pour héros des adolescents.

La dernière vie de Simon de Léo Karmann est une proposition de cinéma singulière. Dans ce conte fantastique, le petit Simon a un pouvoir : il peut prendre l’apparence de n’importe quelle personne qu’il a touchée. Il serait dommage de dévoiler les péripéties qui émaillent la première partie du film, tant le scénario de Léo Karmann et Sabrina B. Karine propose de surprises, au-delà de son pitch « high concept ». La dernière vie de Simon exploite une tonalité rarement présente dans le cinéma français, celle du merveilleux. La musique d’Erwann Chandon évoque d’ailleurs certaines compositions de Danny Elfman pour Tim Burton. La suite du récit, qui se déroule quelques années après, et surtout la fin ne sont pas aussi convaincantes que le démarrage, avec notamment un traitement trop « gentil » d’une intrigue qui aurait pu être plus retorse, mais on ne peut que reconnaître l’originalité de la démarche, risquée, grand public, et d’un romantisme absolument sincère.

Les quatre longs-métrages (Deux, La dernière vie de Simon, Un vrai bonhomme, Les éblouis) proposent quelques embardées mystérieuses inspirées par le cinéma de genre, au sein d’un scénario presque trop bien huilé

Dans Un vrai bonhomme, on retrouve le comédien principal de La dernière vie de Simon, Benjamin Voisin. Le rôle n’est pas sans lien, puisqu’il est là aussi une apparition fantastique : le fantôme du frère du protagoniste, mort dans un accident de voiture quelques années auparavant. On comprend très vite que ce grand frère, Léo, est décédé et on sait gré au réalisateur et à son coauteur Théo Courtial de ne pas avoir cherché à en faire un twist scénaristique. L’originalité du film est que ce frère, bien qu’aimé, n’est pas un fantôme bienveillant qui fait le bonheur de la personne qu’il accompagne, mais un poids, une charge pour le jeune héros, Tom. En particulier par ce qu’il incarne : une virilité sûre d’elle, souvent intolérante, prompte à la violence. Un vrai bonhomme est explicitement un film sur la construction de la masculinité. Tom incarne un modèle de jeune homme plus discret, plus doux, et la trajectoire du personnage est de se défaire de toute une série d’injonctions pour embrasser une masculinité alternative, plus moderne. Le film s’inscrit tout à fait dans le genre du teen movie, avec tous ses codes – les premiers amours, les différents clans du lycée (les populaires et les « boloss »), les profs relous, les équipes sportives (avec plusieurs scènes de basket qui ont ravi l’auteure de ces lignes)… – tout en cherchant modestement à en renouveler l’imaginaire.

Dans Les éblouis, premier long-métrage de la comédienne Sarah Suco écrit avec le cinéaste Nicolas Silhol (Corporate), on suit la lente chute d’une famille dans l’endoctrinement sectaire, du point de vue de la fille aînée. Le film a une réelle authenticité, due sans doute en partie à l’expérience de la réalisatrice qui a elle-même vécu dans une communauté religieuse sectaire jusqu’à ses 18 ans. On s’identifie à la jeune héroïne, qui aime ses parents et ses frères et sœur mais comprend progressivement la perversité de l’environnement dans lequel ils se sont enfermés. L’un des gestes forts faits par Sarah Suco pour nous faire comprendre toute l’ambivalence de la situation est celui du casting. Ainsi, le personnage du prêtre « gourou » est interprété par Jean-Pierre Daroussin, acteur sympathique par excellence, et les parents par Camille Cottin et Eric Caravaca, beaux et charismatiques, à qui on s’attache malgré tout. Suivant une structure simple, presque prévisible voire balisée, le film s’ouvre pourtant progressivement à une véritable complexité, par exemple lors de cette séquence d’anniversaire où les parents de l’héroïne s’embrassent goulûment sans se soucier de rien autour d’eux. Comme si cette nouvelle ferveur religieuse avait réveillé au sein de leur couple l’intensité et le désir. Tout le film n’est pas à l’avenant, mais lui et les trois longs-métrages évoqués plus haut proposent quelques embardées mystérieuses inspirées par le cinéma de genre, au sein d’un scénario presque trop bien huilé.

On pourra au choix trouver ce constat d’ensemble prometteur ou préoccupant pour la suite. Au terme du festival, on choisit plutôt la curiosité.

Le 20ème Arras Film festival s’est déroulé du 8 au 17 novembre 2019.

Anna Marmiesse
Anna Marmiesse

Diplômée de la Fémis, filière distribution. Wannabe scénariste. Critique cinéma par-ci par-là et fière détentrice d'un master en philosophie. Fangirl des Beatles, de Gene Kelly et de Marc Planus.

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