LE MONDE DE DORY : à oublier
Malgré son amnésie à court terme, Dory se met en tête de retrouver ses parents, avec l’aide de Nemo et de Marin : la suite du Monde de Nemo n’est pas un récit initiatique, ni une quête des origines, juste un exercice laborieux qui paie un peu plus à chaque séquence les négligences de son scénario.
Il est amusant de voir un film sur une amnésique contenir de si beaux lapsus. Le plus remarquable tient à un groupe de loutres, exhibé en désespoir de cause vers la fin du film (ou ce que l’on croit être la fin, le dénouement étant interminable). Leurs câlins sont livrés en pâture à des automobilistes, forcés de stopper leur véhicule et de se transformer en spectateurs attendris. Ce chantage à l’émotion dit quelque chose du manque d’inspiration globale du Monde de Dory : soudain, comme à court d’idées, le film flatte le public de la manière la moins imaginative, en dégainant la carte de la « mignonitude » la plus évidente, de celle qu’on n’ose même plus envoyer en pièce jointe dans un mail. « Rien n’a marché jusque là, mais on en est sûr, vous ne pourrez pas résister aux loutres ». Venant du studio qui réussissait à susciter la tendresse avec des jouets dépareillés et difformes (Toy Story), c’est petit bras.
Cela ne veut pas du tout dire que Disney/Pixar va mal, que la magie s’est envolée, blah blah blah. Au contraire, vivement le prochain ! Le Monde de Dory n’est pas un accident industriel, c’est un pur objet industriel, un intermède, comme Cars 2, Planes et dans une moindre mesure Monstres Academy. Un film qui doit surtout son existence à des besoins marketing. Comment expliquer sinon son manque d’inspiration, son incapacité à générer l’émerveillement par l’image pure, comme le faisait Le Monde de Nemo quand il juxtaposait, sans insister, l’énorme et le minuscule, à l’occasion du mouvement d’approche d’une baleine ? Son scénario qui, plutôt que de surmonter les difficultés, préfère les éviter en accumulant les aberrations, et va même jusqu’à troubler son message écologique, en montrant un monde où l’humain n’a jamais été aussi présent, n’a jamais été aussi indispensable à la vie animale (l’action se déroule dans un centre à la fois aquarium et refuge, une prison-hôpital dont les pensionnaires peuvent s’échapper mais ne le font pas) ?
Il y a fort à parier que si Nemo 3 il y a, il enverra sans sourciller ses poissons-clowns sur la Lune avec des LOL cats en orbite
La pauvre Dory était un chouette personnage secondaire (quoique pas très beau finalement ; à force de la regarder, elle ressemble de plus en plus à une tête flottante), mais jamais son long-métrage n’arrive à gérer astucieusement son handicap. Il y a de la malice, au mauvais sens du terme, mais pas de l’astuce : elle est amnésique en fonction des circonstances, retrouve la mémoire quand il le faut. Cela suscite un agacement suffisant pour que l’on prenne le temps de s’attarder beaucoup plus que de raisons sur tout ce qui cloche dans le scénario. Même les références à la culture populaire n’arrivent pas à constituer un sous-texte utile. La voix de Sigourney Weaver guide les visiteurs des aquariums ; un poulpe se colle à un pare-brise à la manière d’un facehugger ; Dory est guidée à distance par le sonar d’un beluga alors qu’une autre bête non identifiée avance dans les mêmes tuyaux : toutes ces clins d’œil à Alien ne sont là que pour susciter la connivence avec le spectateur adulte, complice des références, mais elles n’apportent pas de degré supplémentaire de lecture.
Nous avons ouvert cet article sur un lapsus, terminons le sur un autre lapsus. Quand Marin, le père de Nemo, se retrouve devant un banc de poissons tous identiques aux parents de Dory et qu’il lâche à son fils : « elle n’a qu’à en prendre deux au hasard qu’on en finisse ». C’est drôle mais le rire est jaune, parce que le ras-le-bol du poisson-clown à ce moment là est aussi le nôtre ; ras-le-bol de voir tous ses poissons passer de bassin en bassin ou se promener dans des couloirs, transportés par un poulpe ou un oiseau, de constater que ce que le titre français appelle Le Monde de Dory n’est qu’un parc d’attractions déguisé en refuge, un film alimentaire vendu comme une superproduction. Il y a fort à parier que si Nemo 3 il y a, il enverra sans sourciller ses poissons-clowns sur la Lune avec des LOL cats en orbite. Tant pis. Ca n’empêchera sûrement pas Disney/Pixar de produire de nouveaux longs-métrages originaux et brillants comme le sont Vice-versa, Là-haut ou Toy Story.
LE MONDE DE DORY (Finding Dory, 2016, Etats-Unis), un film d’Andrew Stanton et Angus MacLane, avec les voix d’Ellen DeGeneres, Albert Brooks, Ed O’Neill, Idris Elba… Durée : 97 minutes. Sortie en France le 22 juin 2016.