SEOUL STATION : nuit debout

Un SDF, une ex-prostituée et le petit ami qui veut lui servir de mac tentent de survivre, ensemble ou séparément, à une épidémie qui transforme les gens en zombie : après King of Pigs, Sang-ho Yeon se sert toujours de l’animation pour montrer les monstres que nous sommes et met en scène la famille et la patrie comme des illusions collectives.

En deux occasions, Seoul Station prouve qu’il vaut mieux qu’un film de zombie standard. La première fois quand, après seulement un quart d’heure, ses héros se retrouvent acculés par des enragés et enfermés, les uns dans la cellule d’un commissariat, les autres dans la salle de bain d’une chambre d’hôtel. N’importe  quel réalisateur s’en servirait pour s’engager dans un huis-clos ou garderait ça pour la fin ; pas Sang-ho Yeon, suffisamment astucieux pour faire de cette impasse dramatique supposée une péripétie parmi d’autres. La deuxième fois, beaucoup plus forte, ne peut être racontée ici entièrement sans gâcher le plaisir, puisqu’elle concerne le dénouement. Un dénouement d’une évidence tellement forte et si bien amené qu’il est difficile à anticiper. Sachez simplement qu’il s’apparente à la dernière pièce d’un puzzle qui, à elle seule, suffirait à faire apparaître toute l’image. L’adéquation parfaite entre le lieu où se déroule cette ultime séquence et ce qui s’y passe parachève le discours qui courrait tout du long : dans le Séoul de Sang-ho Yeon, il n’y a que deux catégories de gens, les SDF qui savent qu’ils le sont et les SDF qui s’ignorent. Tout retour au foyer familial est une illusion ; celui-ci n’existe plus ou n’a carrément jamais existé. Cette pilule amère est plus facile à avaler que celle donnée par King of Pigs, précédent long du réalisateur, où nous restions entre humains, détestables, donc dans une misanthropie et un sadisme qui finissaient par devenir désagréables. Il n’y a pas davantage de foi en l’humain dans Seoul Station, mais sa monstruosité littérale rend son discours plus supportable. Un discours forcément politique, zombie oblige, mais pas comme on l’attend.

En même temps que se répand la maladie, le statut de ses parias devient une norme et fait apparaître tous les personnages comme des SDF en puissance, abandonnés par leur famille, trompés par celle-ci ou plus largement encore, ignorés par leur pays

SEOUL STATION de Sang-ho YeonLa signature visuelle au début de l’infection est un leurre. On retrouve l’image emblématique du mangeur accroupi sur sa proie, celle qui a fait frissonner les spectateurs de La Nuit des morts-vivants, puis les joueurs du premier Resident Evil. Cette image nourrit deux attentes, pas incompatibles : l’une idéologique (une satyre de la société ou de la famille), l’autre ludique (un survival tendu). Les deux sont comblées au-delà des espérances. Seoul Station est un suspense économe de ses moyens, peu gourmand en effets gore, comme l’était le premier Resident Evil, et qui ne cède jamais au jeu de massacre gratuit. C’est aussi une parabole aux implications plus larges que prévues. Le foyer de l’infection est un SDF, dans une gare, celle du titre, soit un lieu de transit où l’on se fixe alors que les autres ne font que passer. La dévoration vient donc des laissés-pour-compte, s’engageant dans un combat mortel contre la société qui les rejette ; c’est bien noté. Mais en même temps que se répand la maladie et qu’elle jette les gens dans les rues, le statut de ses parias devient une norme et fait apparaître des personnages souvent peu reluisants (dont une ex-prostituée formidablement bien imaginée) pour ce qu’ils ont toujours été : des SDF en puissance, abandonnés par leur famille, trompés par celle-ci ou, plus largement encore, ignorés par leur pays (ce qui est reproché explicitement par deux fois, lorsque des survivants sont confrontés à une police qui préfère les sacrifier plutôt que de les protéger). La pertinence de Seoul Station par rapport au gros de la production zombiesque tient à ce discours, troublant, énoncé avec un sens parfait de la dramaturgie, à cet effroi moins provoqué par ses hordes de monstres que par ses vagabonds livrés à eux-mêmes.

SEOUL STATION (Corée du Sud, 2015), un film de Sang-ho Yeon, avec les voix de Seung-ryong Ryu, Joon Lee, Eun-kyung Shim. Durée : 90 minutes. Sortie en France indéterminée.

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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