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Pour garder sa fortune et honorer le contrat qui le lie à un esprit maléfique, un meunier tranche les mains de sa fille, marquant le début d’un incroyable périple pour elle : premier long-métrage de haute volée pour Sébastien Laudenbach, quelque part entre Belladonna et Le Conte de la princesse Kaguya.
Voilà un film exceptionnel, en tous cas dans ce format (long-métrage) et avec cette diffusion (exploitation en décembre dans les salles françaises, que l’on espère la plus large possible). Exceptionnel parce que l’animation y est un langage spécifique et pas uniquement un registre. Il est impossible d’imaginer un équivalent en prise de vues réelles à La Jeune fille sans mains, film qui n’existe que par et pour le dessin et ses distorsions. Les traits et les couleurs y travaillent constamment, parfois de pair, le plus souvent séparément. Les secondes débordent, voire précèdent ou suivent les premiers, créant une sorte d’harmonie de la dissociation où tout semble à sa place justement parce que rien n’y est vraiment, ou pas comme attendu.
Quand la silhouette d’un personnage quitte le cadre et laisse derrière elle la couleur qu’elle contenait, avant que la teinte ne s’évapore gracieusement, c’est l’aura des êtres que nous apercevons, des êtres ainsi animés, à tous les sens du terme. Peut-être l’élément de comparaison le plus pertinent, graphiquement parlant surtout mais aussi narrativement quand on y réfléchit, est-il à chercher du côté du Conte de la princesse Kaguya, plus précisément dans la scène la plus belle du film d’Isao Takahata, lorsque l’héroïne se précipite hors de sa demeure, se dépouillant de ses kimonos comme autant de couches de couleurs. La Jeune fille sans mains possède la même grâce, en plus minimaliste, plus statique probablement mais pas moins vibrant. Car c’est bien de vibration qu’il est question, dans l’image comme dans le récit.
Belladonna et La Jeune fille sans mains ont en commun le même féminisme bravache, à l’épreuve du sort ou qui se nourrit carrément du sort
Il y a toujours de la tension dans ce conte de fées violent, où une jeune femme immaculée se fait trancher les mains par un père incapable de renoncer à l’or dont l’a couvert un tentateur maléfique et protéiforme (ses nombreuses identités participent grandement à l’atmosphère inquiétante). Au Festival d’Annecy, où il figurait en compétition, La Jeune fille sans mains se retrouvait en sélection aux côtés de Belladonna, qui a fait enfin l’objet d’une sortie dans les salles françaises. C’était heureux. Le film d’Eiichi Yamamoto et celui de Sébastien Laudenbach ont en commun le même féminisme bravache, à l’épreuve du sort ou qui se nourrit carrément du sort, une morbidité semblable transcendée par les audaces graphiques, un goût bizarre pour la mutilation aussi, celle de La Jeune fille sans mains étant le point de départ de l’histoire.
Ce postulat sordide (et d’un masochisme fou : des mains coupées dans un film d’animation, qui met donc en scène un travail de dessinateur, de mains ; Freud en aurait des choses à dire) est heureusement tempéré par une sérieuse inclination à l’abstraction, tout du moins à chaque fois qu’elle ne gène pas la compréhension de l’histoire, c’est-à-dire souvent, compte-tenu de la richesse des informations fournies par la bande-son. On oublie parfois de faire remarquer que le cinéma d’animation n’est pas qu’une affaire visuelle mais aussi auditive. La Jeune fille sans mains le rappelle constamment, par ses musiques anachroniques (un battement de guitare électrique sur une histoire moyenâgeuse), la douceur de son doublage, et la profondeur acoustique de ses effets sonores, enrobants au point qu’on serait presque tenté de fermer les yeux et d’écouter, si on n’avait pas le sentiment d’en perdre déjà trop à chaque clignement de paupière.
LA JEUNE FILLE SANS MAINS (France, 2016), un film de Sébastien Laudenbach, avec les voix d’Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm, Philippe Laudenbach, Sacha Bourdo… Durée : 76 minutes. Sortie en France le 14 décembre 2016.