LE PARC, vers le conte
A peine un an après Un jeune poète, Damien Manivel revient avec un deuxième long-métrage tout aussi séduisant, prémices d’une œuvre singulière et cohérente.
Ça commence par la naissance d’une histoire entre deux jeunes gens, plutôt timides, visiblement épris. Ils se racontent leurs sujets de bac, leurs projets pour la suite, se taisent aussi, souvent, le tout dans un style mêlant recherche d’authenticité – on devine, et le cinéaste a confirmé que le choix des acteurs a relevé pour partie d’un casting sauvage et que ceux-ci étaient invités à s’approprier le texte avec leurs mots à eux – et une distance un peu lunaire, avec ces déambulations en plan large de personnages toujours très doux. On se doute que ce charme, indéniable, pourrait trouver ses limites, pourtant quelque chose permet d’excéder cette formule : peut-être la manière dont le cinéaste filme le lieu, à la fois fermé et plein de potentialités, de contrastes, dont il orchestre les quelques rencontres avec d’autres promeneurs, un couple, une fille et son iphone, chacun ayant probablement aussi son histoire. Le parc communique ici avec le récent Bois dont les rêves sont fait, de Claire Simon, le film de Manivel pouvant se voir comme l’une des micro-intrigues qui prenaient place à l’intérieur de celui-ci, sur un mode fictionnel, presque fantastique. De manière générale, cette faculté d’ouvrir sur autre chose, sur plus grand que soi (voir l’appel des poètes morts, à la fin du précédent) est une caractéristique remarquable de son cinéma.
Il s’agit d’un film coupé en deux, gimmick parfois un peu voyant de la modernité cinématographique, peu importe s’il continue à produire régulièrement d’aussi beaux objets. Coupé en son milieu, par un véritable twist : le garçon repart, elle préfère rester, comme pour se retrouver seule avec cette histoire naissante. Elle envoie un texto, le jour tombe, pas de réponse : c’est assez beau, la manière dont le cinéaste, alors, prend son temps, laissant voir l’inquiétude monter. Enfin le texto arrive : le garçon – qui au cours de l’après-midi, pour le dire pudiquement, a eu ce qu’il désirait – s’excuse, il y a quelque-chose qu’il n’a pas réussi à dire, il a des sentiments pour elle, mais a déjà une copine, il est désolé, mais elle est une fille super et trouvera facilement quelqu’un d’autre. Histoire entendue, racontée, vue, vécue mille fois, et pourtant le film parvient à lui conserver sa puissance : sa cruauté presque drôle, assez peu en fait, c’est la tristesse qui demeure pour le cinéaste, chez son héroïne, le ressort premier. Héroïne qui, passé les habituelles et embarrassantes demandes d’explications, finit par écrire au garçon qu’elle souhaiterait remonter le temps pour ne pas l’avoir rencontré.
C’est un cinéma déjà très cohérent qui se dessine : réaliste et distancié, très doux, désireux de s’aventurer du côté de la fugue initiatique, à la lisière du fantastique
La dernière partie, forcément la plus frappante, voit celle-ci mettre cette annonce à exécution et s’enfoncer dans les bois à reculons. C’est le moment où le film adopte plus franchement une tonalité de conte, introduisant notamment un personnage de gardien ambigu, filmant forêt puis plans d’eau comme des lieux presque magiques. Le parc se met à ressembler à un drôle de récit initiatique sur un personnage en proie à un premier événement douloureux, ou marquant, comme un précédent court-métrage remarqué, La dame au chien, lui aussi mettant en scène une figure de noir(e) à la fois immédiatement bienveillante et quelque peu monstrueuse, ou inquiétante, comme bien sûr Un jeune poète, dans lequel le garçon se frottait aux rebuffades d’une jeune fille, à ses premières cuites, faisait la connaissance insolite de travestis. C’est donc un cinéma déjà très cohérent qui se dessine : réaliste et distancié, très doux, désireux de s’aventurer du côté de la fugue initiatique, à la lisière du fantastique, avec ces gentils ogres qui rôdent en permanence. Au point qu’il est permis de se demander si derrière son côté rêveur, cette œuvre ne serait pas déjà un peu « blindée ». Pas de risque à ce stade : parce que le cinéaste, curieux, expérimente avec bonheur du côté de la mise en scène et de la narration, et sait merveilleusement tirer profit de la variété de ses personnages avec leurs attributs (rhum antillais, portables) et les lieux qu’ils explorent (un parc, Sète).
LE PARC (France, 2016), un film de Damien Manivel. Avec Naomie Vogt-Roby, Maxime Bachellerie, Sobere Sessouma. Durée : 71 minutes. Sortie en France le 4 janvier 2017.