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Le tournage de Rengaine s’est étiré sur neuf ans, avec des comédiens amateurs, sans budget et sans scénario. Malheureusement, le film ressemble moins à un tour de force qu’à un tour de passe-passe : faire passer l’approximation pour de l’énergie, et la seule persévérance pour un gage de qualité.
A l’occasion de sa présentation au premier festival de Bordeaux, l’ambassadeur de Rengaine est l’un de ses comédiens, Hocine Ben. Sur scène, après la projection du film puis lors de la cérémonie de clôture, l’acteur assure le spectacle, il enchaîne anecdotes de tournages et formules amusantes. « Le film est un braquage », dit-il, « Son réalisateur est un escroc », dit-il. Des déclarations décalées, pour lui toujours mélioratives à l’égard du metteur en scène Rachid Djaïdani, mais qui résonnent différemment auprès de ceux que Rengaine n’a pas convaincu. Récompensé à la Quinzaine des Réalisateurs et Lune d’Or à Bordeaux, aussi lauréat du Prix Michel d’Ornano 2012, Rengaine devient le précédent qui laisse croire que n’importe qui derrière une caméra, avec la motivation et la ténacité nécessaires, peut surclasser ses confrères professionnels ; même les plus ambitieux.
Le Cinéma Guérilla, mouvance caractérisée par un budget dérisoire et une envie irrépressible de filmer, est par définition à la portée de tous. De l’ambition à l’accomplissement, il y a un premier pas : Rengaine l’a franchi puisque Djaïdani est parvenu à tourner puis monter ses 400 heures de rushs. De l’accomplissement à la réussite, c’est une autre histoire. Au-delà de l’absence d’éclairage et de la faible définition de la caméra – deux données initiales dont le spectateur peut s’accommoder – la mise en scène est déplorable. La lisibilité de l’action est continuellement réduite à néant : une caméra portée n’a pas besoin d’être constamment chancelante et le (très) gros plan n’est pas une contrainte irrévocable. Quand les Dardenne, par exemple, et en particulier dans Rosetta (1999) et Le fils (2002), tournent caméra au poing, au plus près des corps, le filmage prend sens : la position de l’objectif par rapport aux figures, et tout autant leurs déplacements dans l’espace, viennent étoffer ou souligner le récit. Quand la caméra de Gaspar Noé semble se jouer de la pesanteur, le chaos n’est qu’illusion et il lui suffit d’un bref mouvement pour rétablir l’ordre et isoler les éléments qui priment au sein du cadre. Rengaine ne parvient jamais à transcender la caractère simplement nerveux de son enregistrement.
Le film de Rachid Djaïdani est peut-être considéré comme le frère de Donoma (2011), étendard hexagonale du Cinéma Guérilla, mais un monde les sépare. Djinn Carrenard s’intéresse au cadrage, convoque différents régimes d’images, compose des personnages singuliers, dessine et heurte leurs sous-intrigues, et livre au final une parabole étourdissante sur le pouvoir du geste et de la parole. Djaïdani n’a pour lui rien de plus qu’un désir unique, louable et toujours visible, celui de raconter une histoire. Seulement, son récit est minimaliste, linéaire, désespérément répétitif (chose que le titre annonçait, toutefois). Slimane, le protagoniste, un français de confession musulmane, recherche sa petite sœur, Sabrina, pour la convaincre de ne pas se marier avec un jeune chrétien originaire d’Afrique noire. Pour parvenir à ses fins, il va s’adresser à ses frères, un par un. Or, il en a quarante. Alors Djaïdani enchaîne une quinzaine de scènes analogues, ainsi vouées à faire patiner l’intrigue : chacun s’oppose au mariage, mais personne ne sait où se cache la sœur et le garçon qu’elle aime. En parallèle, Dorcy, le fiancé, tente de percer dans le cinéma (presque un autre film, dans le film).
La mise en abyme du cinéma, Djaïdani l’embrasse d’ailleurs pleinement dans la dernière demi-heure. Avec l’irruption d’une scène de torture, le montage alterné fait mine d’avoir trouvé son aboutissement : la collision supposée de la fratrie conservatrice et de Dorcy. C’est un leurre. Travelling arrière, « cut », et chacun découvre que Dorcy se trouve en fait sur le plateau de tournage d’un film d’horreur. Un escamotage inutile, ni drôle ni choc, doublé d’un « braquage » pour les sentiments des spectateurs. Un piège prémédité, puisque la scène située juste avant le rapt montrait Slimane achetant une arme à feu. La véritable utilisation de l’objet est finalement révélée quelques séquences après le faux kidnapping : Slimane tient en joue l’un de ses frères, bien qu’il n’ait pas anticipé sa venue. Le fait qu’il se soit procuré un pistolet ne sera, dès lors, jamais justifié par l’intrigue. A cause de cela, bien qu’il s’agisse d’un long-métrage auto-produit, filmé sans pied et sans lumières, Rengaine n’aurait pas pu faire parti du Dogme 95. L’irruption superflue d’une arme était prohibée dans les règles strictes établies par Lars Von Trier et Thomas Vinterberg. La sentence n’a pas lieu d’être, le Dogme n’existant même plus, mais ce détail témoigne de la gourmandise de Djaïdani : tout vouloir, à la fois le minimalisme et l’envergure, œuvrer en marge des modes de productions traditionnels et changer le visage du cinéma français. Le générique de fin l’indique avec, coup sur coup, une dédicace qui explicite ce besoin de reconnaissance et des bandes bleu-blanc-rouge encadrant le titre du film.
Autre piste. Peut-être ces trois couleurs ne parlent-elles pas du cinéma français, mais de la France. Les panneaux électoraux, sur lesquels sont placardées les lettres R-E-N-G-A-I-N-E, renverraient eux aussi à la notion de discours politique. Pourtant, le film n’essaye pas de faire un état des lieux de la France d’aujourd’hui dans toute sa diversité. Il s’attache seulement à une famille de confession musulmane, s’intéressant notamment à leurs différends avec certaines communautés africaines et, brièvement, avec la communauté juive. A regret, la plupart des films français ne donnent la parole, à longueur d’année, qu’à des personnages « blancs ». Rachid Djaïdani s’oppose à cela, et à raison, mais il le fait maladroitement. Il cherche à égaliser, et non à équilibrer : son film place les « blancs » hors-champ, à hauteur du rejet usuel des minorités dans les autres productions nationales. Au cinéma, montrer la France dans toute sa pluriethnicité, qui est l’une de ses fiertés, doit signifier unir dans le même cadre tous les français, et non additionner des monstrations ethnocentriques éparses en espérant que leur somme suffise à les rassembler.
RENGAINE (France, 2010), un film de Rachid Djaïdani, avec Slimane Dazi, Stéphane Soo Mongo, Sabrina Hamida. Durée : 85 min. Sortie prévue en France le 14 novembre 2012.