JODOROWSKY, UNE VIE SANS FIN
Inclassable, le cinéma d’Alejandro Jodorowsky fourmille de trouvailles visuelles et métaphoriques. Poésie sans fin nous plonge dans la vie à peine croyable de cet artiste, à la manière du Pinocchio de Luigi Comencini : avec les yeux et l’espièglerie d’un enfant. Une farce poétique digne des plus grands clowns.
Jodorowsky se revendique poète. Lui qui a exercé tous les métiers (marionnettiste, taromancien, écrivain) et fréquenté les plus grands (d’André Breton au mime Marceau en passant par Topor), et qui posa la première pierre de la cinématographie chilienne. Un artiste total comme il en existe peu, et dont l’œuvre s’imprègne à la fois de cette multiplication des talents et d’une vision mystique et philosophique de l’existence. Le cinéma est presque un accident pour Jodorowsky. Son premier film, il le fait en quelques jours avec sa troupe de théâtre, pour défier les autorités chiliennes (à l’époque il était interdit de filmer sans une validation officielle du pouvoir en place). Une conséquence de ce qu’il appelle « la poésie en acte ».
C’est pourtant bien le cinéma qui fera définitivement entrer Alejandro Jodorowsky dans l’histoire, notamment grâce à son film culte La Montagne Sacrée, un chef d’œuvre où chaque plan est une innovation formelle démente. Santa Sangre en 1989 signe son dernier coup de maître cinématographique. Il faudra ensuite attendre 2013 avec La Danza de la Realidad pour revoir à nouveau la figure du cinéaste derrière l’artiste.
Poésie sans fin est la suite de cette valse autobiographique, retraçant les années émancipatrices du jeune Alejandro avant son départ pour la France à la fin des années 50. Toutes ses influences sont réunies pour former un film aussi unique dans sa forme que sur le sujet qu’il traite : el Maestro Alejandro.
On y découvre un enfant timide mais affirmé, dont la vie bascule en découvrant le roman Gitan de Neruda. A partir de cet instant, Alejandro deviendra poète, et se libérera de toutes attaches. Le cinéaste déroule son histoire de manière linéaire, conservant le nom des ceux qui l’ont côtoyé, mais transcendant la réalité par l’art comme il a toujours si bien su le faire. Le théâtre est omniprésent dans la mise en scène. On retrouve également son amour de la comédie clownesque et des personnages grotesques. Né en 1929 d’un viol, Jodorowsky infuse ses images de ce sang sacré qui lui permis de naître. Et le rouge se déverse ici à profusion. Sur les murs des façades, éclaboussant les cuisses de son amante naine, et recouvrant également le corps et la chevelure de sa première muse : Stella.
Pour les amoureux de Jodorowsky, ce film est touchant à plus d’un titre. Parce que l’on découvre la généalogie tant familiale qu’intellectuelle de ce poète au lyrisme et à la générosité sans fin. Mais aussi par l’incarnation du personnage d’Alejandro par son fils cadet : Adanowsky, une réplique exacte de son père. On croirait presque être revenu dans les années 1970 sur le tournage de El Topo où il se mettait en scène avec son fils Brontis. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Poésie sans fin sera sans doute un ovni, une comédie folle et libératrice, qui décomplexe le spectateur fasse à l’acte de création.
Un petit bémol, et il ne vaudra sans doute que pour les aficionados, concernant l’utilisation du numérique, qui par rapport à la pellicule de ses débuts perd en texture, et à un étalonnage un peu mou, qui ne permet pas de transcender comme elles le mériteraient les scènes picturales grandioses de ce grand poète visuel du 20ème siècle.
POÉSIE SANS FIN (Poesía Sin Fin, Chili, France, 2015), un film de Alejandro Jodorowsky, avec Adan Jodorowsky Brontis Jodorowsky Leandro Taub. Durée : 2h05. Sortie en France le 5 octobre 2016.