ALBUM DE FAMILLE, une fable noire aussi désagréable que ses personnages
Satirico-statique, ce premier long-métrage venu de Turquie ne dépasse jamais le petit précis de misanthropie.
La satire a bon dos. Dans Album de famille, l’humour pince-sans-rire n’y change rien, on y voit seulement de la misanthropie. Si encore, l’enrobage était celui d’un Ulrich Seidl ou d’un Roy Andersson, on la supporterait mieux. Certes à contre-coeur, on accepterait néanmoins de reporter notre attention sur la proposition visuelle de l’auteur. Or, dans cet Album, il n’y a rien à sauver de ce point de vue non plus. La seule proposition esthétique lisible réside dans une poignée de séquences où Mehmet Can Mertoğlu dispose des plages des dialogues sur des images qui ne leur correspondent pas, en l’occurrence des plans faussement figés où l’on voit les acteurs prendre la pose mais vaciller légèrement. Soit le même gag que celui des Inconnus avec le pastiche du roman-photos dans le sketch de l’«hôpital Velpeau»…
Aucune recherche discernable dans l’élaboration formelle, et même une impression de régression. Le premier plan est gentiment choc mais captivant (insémination artificielle d’une vache), puis tout va aller de mal en pis. Dans la salle, à quinze minutes de la fin, un journaliste lessivé soupire : «C’est éclairé comme un épisode de H.». C’est dire si l’ambition se tarit. Reste donc un précis de misanthropie illustré qui n’en finit plus.
Pourquoi Mertoğlu a-t-il eu envie de raconter cette histoire, de nous faire partager le quotidien de ce couple ? Certainement pour qu’on «adore les détester» comme le veut la formule consacrée, sentiment éprouvé à l’égard de personnages haïssables mais irrésistibles, de Bette Davis à bien d’autres en télé de Dallas à Dr House. Ici, on a plutôt envie de quitter la femme Bahar et son époux Cüneyt au plus vite, ce qui fait toute la différence. Mais on les hait, ça oui. La seule bonne idée les concernant est la première : le couple prend des photos de la femme avec un faux ventre pour feindre une grossesse, plan savamment élaboré à l’avance pour que personne ne devine à l’avenir qu’ils auront adopté.
Ils se mettent alors en quête du bébé. Ils en refusent un premier, jugé «top laid», «trop kurde». En marge de la recherche, eux et leurs amis se révèlent racistes (mais alors vraiment !) et misogynes. Quand ils dînent, Mertoğlu se plait à faire virer la scène au grotesque, pas loin de provoquer des haut-le-cœur. Puis ils vont trouver leur bébé, celui qui est suffisamment blanc pour eux, et là ils redoublent de bêtise. Le couple fume sans cesse à côté de lui, préfère regarder la télé que l’enfant, le réveille en hurlant parce qu’ils sont excités par un petit pull qu’il lui ont acheté. Ces gens sont des imbéciles heureux, on l’aura deviné, mais Mertoğlu s’échine à nous le montrer de toutes les manières possibles. Qu’il les déteste, c’est déjà suffisant pour en faire un film déplaisant, mais le réalisateur les méprise. Lors d’une scène en voiture, «Arabesque» de Debussy passe à la radio. Sans doute, Mertoğlu et une majorité des spectateurs apprécient la mélodie mais Bahar, elle, sort subitement de sa torpeur et éteint le poste : «C’est trop chiant» lance-t-elle. Son couple n’est pas seulement imbécile, on nous dit surtout qu’il l’est plus que leur créateur, et plus que nous. Plutôt que de s’en enorgueillir, on se fait en silence aussi sentencieux à l’égard du film que Bahar ne l’est de Debussy.
ALBUM DE FAMILLE (Albüm, Turquie, France, Roumanie, 2016), un film de Mehmet Can Mertoğlu, avec Şebnem Bozoklu, Murat Kılıç, Muttalip Müjdeci. Durée : 1h45. Sortie en France le 3 mai 2017.