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Alain Guiraudie a toujours eu l’art de la formule. Pour ceux qui le connaissent, «rester vertical» évoque déjà des promesses charnelles. Et bien que le film ne soit pas dépourvu de verges tendues, il faut plutôt y voir une allégorie : rester droit face au destin et affronter ce qui se dresse devant nous.
L’homme face à la nature et contre lui-même. Le thème revient systématiquement chez Alain Guiraudie, cinéaste naturaliste pour qui l’espace est un personnage à part entière. Rester vertical nous plonge dans quatre univers distincts : des pâturages de montagne, une route de campagne, une ville bétonnée, et un port, entre mer et chantier permanent. Chaque lieu reçoit notre héros le temps d’une unique action ou d’une rencontre.
Scénariste fauché, ce héros est un aimable «loser», avide d’entrer en contact avec ses pairs, et trouble dans ses désirs. Les liens se tissent selon un itinéraire précis et répétitif : le jeune éphèbe et son mentor, la bergère et son père, le clochard, le producteur puis de nouveaux la bergère. Cette circularité dans la rencontre crée une impression de vase clos dans un espace à ciel ouvert. On a rarement été aussi prisonnier en pleine campagne ! L’art du montage de Guiraudie tutoie les sommets, tout en sobriété. Les scènes imposent une beauté sauvage, passant d’un paysage qui tend à l’infini en plan serrée d’un sexe de femme. Le cinéaste est amoureux des corps, et il les magnifie ici en apogées tendres et crues à la fois.
Le motif du cercle s’applique aux personnages, qui au fur et à mesure se rencontrent dans d’improbables circonstances, couchent ensemble parfois, et tout cela avec le naturel et l’évidence de gens simples. Contemplant une France isolée, celle des paysans et des marginaux, Alain Guiraudie prend à bras le corps ces hommes faibles dans leur désirs, limités dans leur ambition, éteins dans leur passion. Des hommes interchangeables, sans véritable identité. Des gueux qui n’ont pas toujours plus d’humanité que leurs voisins. Car chez lui, la nature est aride, et ne fait pas de cadeaux.
Guiraudie joue des clichés et s’amuse à les mettre à mal. Alors qu’il se promène dans les Causses en quête de loups, le protagoniste croise une bergère. La mère nourricière parfaite, qui éveille immédiatement en lui un désir d’enfant. Mais une fois celui-ci né, la mère parfaite devient enfant boudeuse, et quitte homme et bébé pour refaire sa vie. La paternité tombe alors littéralement sur notre personnage. Alors que celui-ci donnait l’illusion initiale d’être un citadin sûr de lui et presque «au dessus du lot», une métamorphose christique prend le relais, du clochard céleste au Messie. Jésus couché dans la bergerie avec son agneau, le pêcheur attend son épiphanie…
Film onirique, Rester vertical bascule de la réalité aux fantasmes sans prévenir, créant une impression de flottement permanent. Le loup devient la métaphore à peine voilée de la part sombre de notre humanité. Une grande fresque de terroir et d’hommes, plus proche sans doute de ses premiers films et notamment de Pas de repos pour les braves que de L’inconnu du Lac, mais dont la maîtrise lui vaudra une nouvelle reconnaissance.
RESTER VERTICAL (France, 2016), un film d’Alain Guiraudie, avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry. Durée : 1h40. Sortie en France le 24 août 2016.