MONEY MONSTER, Occupy pas grand-chose
Un homme ayant perdu toutes ses économies dans le krach soudain d’une société de trading à haute fréquence prend en otage le présentateur TV qui avait conseillé cet investissement, non pas pour récupérer son argent mais pour obtenir des réponses sur comment une telle chose a pu se produire. Le trio d’artistes labellisés « engagés » Jodie Foster – Goerge Clooney – Julia Roberts entre dans la danse du cinéma citoyen qui dénonce la finance devenue folle et nuisible, mais sans rien apporter de neuf par rapport aux travaux de leurs prédécesseurs qu’ils recopient abondamment.
Il y a quelques semaines, l’auteur du documentaire Merci Patron ! (François Ruffin) se filmait tentant d’entrer dans les assemblées générales du groupe LVMH afin d’interroger Bernard Arnault au sujet des plans de licenciements massifs et répétés qu’il impose aux entreprises qu’il rachète. Parce qu’il se déroule aux États-Unis, pour toujours le pays des cowboys et de leurs armes à feu, Money monster voit son personnage d’indigné (Kyle, Jack O’Connell) recourir, pour aboutir à cette même fin, à une manière autrement plus forte : un pistolet braqué sur la tempe de sa cible, et un gilet paré d’explosifs qu’il le force à enfiler. Problème, le véritable objectif de Kyle – le patron de la société en faillite – s’est fait porter pâle à l’enregistrement de l’émission, où ne reste plus que l’animateur (Lee, George Clooney), télé-évangéliste de la spéculation financière et du boursicotage qui relaie complaisamment la communication officielle de Wall Street et récupère au passage sa petite part des profits.
Les panic rooms des riches sont désormais virtuelles, nichées dans les boîtes noires faussement magiques des clouds
Aux antipodes de ce qui se pratique dans les hauts milieux d’affaires, Money monster révèle dès son introduction l’intégralité des cartes avec lesquelles il compte jouer la partie ; chacune de ces cartes empruntant, ou faisant écho, à un film déjà vu. Le thème de la finance est évidemment largement représenté, avec en plus de Merci Patron ! les américains Le loup de Wall Street, pour l’observation de l’obscénité de l’exhibition de leur richesse et de leur arrogance par les puissants, et The big short, pour le souci de pédagogie à l’égard du public – évidemment louable dans son intention de permettre à tous de comprendre les manœuvres dont nous sommes les victimes, mais étouffant parfois la fiction sous le cours magistral. Ainsi l’un des messages du film (si les traders se font autant plaisir, c’est en partie parce que le reste de la société veut croire aveuglément à la chimère de rendements financiers mirobolants garantis, peu importe ce qu’ils peuvent cacher) qui est asséné avec platitude, via une tirade explicative dénuée de souffle, là où dans son Loup Scorsese faisait passer la même idée en deux plans, deux coups de pure mise en scène d’une force et d’un tranchant exceptionnels.
De la mise en scène, employée comme moyen de sublimer une histoire et bousculer le spectateur, voilà ce qui fait cruellement défaut à Money monster. Jodie Foster réalisatrice a pour seule ambition l’efficience, sempiternel corset (ou plafond de verre) hollywoodien qui dans le cas présent ne suffit pas, et de loin. Parce que le scénario manque lui aussi d’ambition, d’audace, se contentant de chercher à se sortir de l’impasse dans laquelle il s’est enfermé d’entrée avec sa prise d’otage solitaire et télévisée. Et parce que ce sujet, croisement (un peu trop) évident de Truman show et de Panic room, ne réclame précisément que cela : de la mise en scène. L’aspect Truman show à l’âge d’Internet paraît embarrasser Foster, qui préfère enfoncer en vitesse des portes ouvertes pour pouvoir passer à autre chose. La mise à jour du concept de Panic room avait un potentiel plus grand. L’ouverture de Money monster nous indique que les panic rooms des riches sont désormais virtuelles, nichées dans les boîtes noires faussement magiques des clouds ; plus loin le film trouve une faille dans cette stratégie en remarquant que plus ces puissants s’isolent de nous, dans les sièges de leurs entreprises ou dans leurs jets privés, et plus ils sont déconnectés – jusqu’à perdre une partie de cette information sur laquelle est bâti leur pouvoir.
Il aurait fallu dans la mise en scène plus que de l’efficacité : la virtuosité, les vertiges et les visions d’un(e) penseur(se) des images et de leur manipulation
Le méchant de Money monster se fait ainsi piéger car il est probablement le dernier américain à ne pas être au courant de ce qui se jouait en direct à la télévision, de la même manière que dans Merci Patron ! Bernard Arnault cède tout à ses maîtres-chanteurs bluffeurs faute d’avoir vérifié leur réelle dangerosité. C’est une idée intéressante, et intelligente, comme d’autres décelées mais jamais assez développées par le scénario (le fait que la logique ne fonctionne plus, toutes les décisions a priori rationnelles échouant ; la perception de la nécessité de renverser les rapports de subordination, à toutes les échelles). Et pour compenser ces lacunes, il aurait fallu plus que de l’anonyme efficacité : la virtuosité, les vertiges et les visions d’un(e) penseur(se) des images et de leur manipulation. De quoi faire la différence entre le fatalisme final du Loup de Wall Street, porteur d’un regard grinçant sur le monde, et celui de Money monster, triste constat d’une impuissance – partagée avec le mouvement Occupy Wall Street, que Foster cite explicitement dans le dernier acte, peut-être comme un aveu lucide quant à ses limites – à transformer l’indignation en action marquante.
MONEY MONSTER (États-Unis, 2016), un film de Jodie Foster, avec George Clooney, Julia Roberts, Jack O’Connell, Dominic West. Durée : 98 minutes. Sortie en France le 12 mai 2016.