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Créé en 1986 par Janine Bazin, le festival de Belfort fêtait donc ses 30 ans. L’occasion d’explorer, à côté de belles rétrospectives consacrées à Otar Iosseliani et Bong Joon-ho (on aura ainsi découvert le premier long-métrage du coréen, Barking Dog, et du vin géorgien), une sélection de premiers et seconds films relevée. Premier compte-rendu au moment du départ, en regrettant juste de ne pouvoir rester pour vérifier le bien qui se dit de Kaili Blues, un premier film chinois, de L’Académie des Muses, de José Luis Guerin, d’autres sans doute.
Précédé d’une réputation flatteuse, l’algérien Dans ma tête un rond-point, d’Hassen Ferhani (grand prix de la compétition française au FID), a déçu. Formellement rugueux, voire rudimentaire, ce documentaire dans un abattoir entreprend de montrer des hommes vivants, sensibles, qui entre deux dépeçages discutent de foot, de révolution ou de l’amour. L’attention est délicate, mais le geste reste trop volontariste, et dans le même temps maladroit, pour que le résultat nous touche autant qu’il le devrait.
On n’a pas été plus convaincu par Self-Portrait of a dutiful daughter (Ana Lungu), portrait, donc, d’une doctorante en Roumanie un brin gâtée (elle vit dans le grand appartement que lui ont laissé ses parents), avec ses insomnies, son histoire avec un homme marié guère présent, ses tergiversations. C’est très générationnel, un peu nombriliste, et pas très passionnant (l’inévitable meilleur ami homosexuel, la discussion qui ouvre le film sur le caractère objectif ou non de la beauté physique, qu’on a déjà beaucoup, beaucoup entendue dans un film). Il lui manquerait l’humour et le recul d’une bonne BD de blog, ou un regard plus affûté, celui de Lena Dunham dans Girls, pour dépasser ce stade du journal intime légèrement complaisant. Reste la précision topographique et sociologique, le souci de s’inscrire dans une réalité bien délimitée qui est décidément une caractéristique du jeune cinéma roumain.
Un cran au-dessus, Western est une découverte. Documentaire sur deux villages voisins à la frontière du Texas et du Mexique, le film se focalise sur les figures de deux américains : le maire, édile débonnaire et aimable par son souci de maintenir de bonnes relations entre les deux communautés, et un vendeur de bétail white trash et papa poule, au moment où la violence des cartels s’exacerbe du côté mexicain. Sans doute le film reste-t-il un peu trop confiant dans son esthétique sundancienne (grain apparent), un peu attendu dans sa représentation du Texas (rodéos, grandes églises avec leurs prêches bienveillants et réactionnaires). Mais il donne à voir d’une belle manière la dégradation désolante d’une situation, les commémorations festives du début laissant place à la colère des acteurs économiques contre Washington (qui décide de suspendre le passage du bétail au Mexique pour raisons de sécurité, sans rien savoir, estiment-ils, de la situation sur le terrain), des administrés contre leur maire accusé de favoriser « l’invasion » de ses voisins. L’affiche « No walls between amigos », qui traîne dans son bureau, apparaît alors assez dérisoire au regard des lettres d’insultes quotidiennes qu’il reçoit. Le maire du village mexicain meurt, accidentellement croit-on d’abord, avant que l’implication des narcotrafiquants ne se précise. Et ce film très localisé à tout point de vue, par sa géographie, ses enjeux, finit par évoquer d’autres attentats, d’autres murs. Bill et Turner Ross pourraient bien devenir une nouvelle fratrie notable du cinéma américain.
Enfin, John From – il a déjà été question du film il y a quelques semaines à CinéMed. C’est peu dire que l’attente était grande, après L’épée et la rose. On reste étonné du peu d’intérêt suscité par le premier long-métrage de Joao Nicolau, ce film assez fou dans lequel un trentenaire languissant lâchait tout pour prendre la mer et devenir pirate, formant avec ses acolytes une sorte de société secrète rivettienne. Un peu hermétique, sans doute, d’une longueur déraisonnable, aussi. Plus « rond », plus accueillant pour son spectateur, au risque de se banaliser légèrement, John From suit les pas d’une adolescente en vacances. Elle reste des heures à bronzer sur la terrasse, traîne ou échange des mots avec sa meilleure amie, s’entiche de son voisin plus âgé, photographe et père de famille sexy aux faux airs de Hugh Jackman.
Il est vrai que tout cela n’est pas du jamais vu, mais le film se révèle particulièrement séduisant. Du fait de sa jeune actrice, parfaite (ravissante, adorable), ou du regard du cinéaste, bienveillant avec ce qu’il faut de recul, et peut-être de nostalgie pour cette période de vie désormais derrière lui, ou du caractère discrètement pop du film, avec ses ascenseurs rouges, sa bande-son alternant Lily Allen et la Lambada et ses travellings en musique sur son héroïne. Plus le plaisir de retrouver dans le rôle de la mère, au côté d’Adriano Luz, Leonor Silveira, pour un personnage plus moderne que les derniers auxquels elle avait droit. Plaisir de voir que les grands acteurs de de Oliveira trouvent aujourd’hui de nouveaux rôles et de nouveaux projets. Un temps, le film paraît languir, et l’on se prend à rêver que Nicolau parvienne un jour à mêler la belle simplicité de celui-ci avec le caractère fantasque (un peu déconnecté) du précédent. Exaucé, au cours de la dernière demi-heure, son onirisme sous influence mélanésienne. Qu’est-ce qui nous retient alors de nous enthousiasmer totalement ? Peut-être le fait que ce tournant apparaisse encore un peu « amené » : très maîtrisé, mais en deçà de l’intensité, de la truculence et de l’inquiétude à la fois de Ce cher mois d’août, auquel John from renvoie par endroits (L’épée et la rose, lui, courait derrière La gueule que tu mérites). Pas (encore) tout à fait un grand, donc (pas loin), mais un cinéaste qu’on continuera à suivre en espérant l’émerveillement.
Deux mots sur les courts. Passons, pour être charitable, sur Le soleil nous cherche, film d’école dans lequel le cinéaste propose une sorte d’ode au mystère d’une camarade qu’il aurait mieux fait d’inviter à prendre un verre. Énième héroïne qui pourrait être borderline, mais ce n’est pas de la sociologie bien entendu, le mystère doit rester entier, mystère qui ne saurait bien sûr être percé, tout en mèches fuyantes, regards de braise et actions invraisemblables. Pour le reste, le niveau était relevé, avec de beaux objets témoignant d’un sens de l’insolite et d’une vraie fermeté. Dans Les voisins (Benjamin Hameury), des retraités de La Rochelle s’organisent pour préparer leur défense lorsqu’on annonce l’évasion d’un dangereux prisonnier. La Fin d’Homère (Zahra Vargas) se présente comme un faux documentaire dans lequel plusieurs chasseurs reviennent sur un fait divers, lorsqu’un des leurs avait tué par erreur un oiseau protégé. Entretiens dans des intérieurs de chalets surchargés, avec en arrière-fond des animaux empaillés : ce premier court-métrage a un ton, et une étrangeté. Un peu verrouillé, peut-être, comme Les voisins (très frappant d’abord, avec ses vieux messieurs en peignoir qui complotent dans le jardin, avant de s’affaisser quelque peu). Voilà des films qui se présentent devant nous comme des objets fermés, à admirer, mais peu soucieux d’ouvrir sur la discussion, ou l’interprétation. C’est loin d’être la pire formule, ça leur évite bien des écueils (l’autofiction complaisante, le lyrisme non maîtrisé), mais ça limite aussi leur portée. On pouvait par contraste être séduit par la chaleur de F430 (Yassine Qnia), sur un jeune de banlieue à la folie des grandeurs qui truande son pote pour louer une Ferrari. Dans l’esprit d’une fable néoréaliste avec des enfants, c’est un beau film, drôle et amer, qui appelle les suivants.