KAILI BLUES, naissance du prochain grand cinéaste chinois

Chen, médecin à Kaili, part à la recherche de son neveu dans un village où le temps semble s’écouler différemment. Primé à Locarno et aux Trois Continents, ce premier film d’un cinéaste chinois de 26 ans est d’une richesse et d’une puissance exceptionnelles.

 

Bi Gan, le jeune réalisateur de Kaili Blues, est généreux mais discret. Ça et là, il dispose des indices pour pénétrer son film et ses mystères. Ils aident à la compréhension de l’intrigue, ou du moins à comprendre que l’on finira par la comprendre. C’est entre autres le cas avec l’image récurrente d’une boule à facettes, dont on devine qu’elle prendra à terme une signification supérieure. Si les indices n’aident pas encore le spectateur dans sa réflexion, ils lui indiquent déjà comment la mener.

Si l’on fait face à la boule, il faut voir ses facettes. Si des trains défilent devant soi, il faut observer les wagons. Kaili Blues se regarde ainsi.

Bi Gan demande d’adopter un regard pluriel sur le monde qu’il donne à voir. Il ne faut rien manquer. Si notre attention peut oser de se disperser, c’est parce que le cinéaste précise à notre intention les contours de son monde. Bi Gan use de plan-séquences et de panoramiques pour délimiter clairement le temps et l’espace, si larges soient-ils, au sein desquels le spectateur pourra vagabonder. Les plan-séquences sont prodigieux. Le plus souvent, on suit Chen sur sa moto à travers les routes embrumées et moites du Guizhou. On pourrait le regarder des heures, comme on était prêts à le faire avec les jeunes héros de Goodbye South Goodbye de Hou Hsiao-Hsien il y a vingt ans. Et les panoramiques sont prodigieux. Le mouvement de la caméra est circulaire, il enveloppe tout, exactement comme chez Cai Shangjun (People Mountain People Sea, 2011) ou encore chez Zhang Lu, qui en avait fait le leit-motiv caressant de Desert Dream (2007).

 

KAILI BLUES de Bi Gan (à gauche) et GOODBYE SOUTH GOODBYE de Hou Hsiao-Hsien (à droite)


Alors ce monde, on finit par le comprendre. Ou plutôt est-ce lui qui nous comprend ; comprenez qu’il nous a avalé (et qu’on s’est laissé faire). Kaili Blues est bien le type de film auquel on se donne sans condition. Mais la fascination n’exclue pas l’émotion, qui étreint avec puissance lorsque l’on en vient à pénétrer les vies passée et présente de Chen. Deux temps qui s’opposent et s’apposent, logiquement, lors d’une scène où il fait face à un miroir.

Dernière comparaison ; le rapport au temps conçu par Bi Gan est à rapprocher de celui de Wong Kar-wai dans Nos années sauvages (1990). Jamais linéaire, en cela ludique, mais au service d’une histoire tragique. La part de jeu existe bien, mais au travers de motifs précis (train, horloge). Ils convoquent le deuxième film de WKW, mais pas seulement. Reviennent en mémoire tous ses objets magiques : les bouteilles de As Tears go by, l’horloge de Nos années sauvages, les lampes de Happy Together, le train de 2046, etc.. Celui de Kaili Blues est la fusion de deux d’entre eux, mais autant le garder secret, Bi Gan ne le révèle d’ailleurs qu’à la toute fin de son merveilleux voyage.


KAILI BLUES (Chine, 2015), un film de Bi Gan, avec Feiyang Luo, Lixun Xie, Yongzhong Chen. Durée : 110 min. Sortie française le 23 mars 2016.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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