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Ce biopic de Stanley Milgram trouve sa singularité dans un traitement formel atypique, soulignant que l’illusion est à l’origine des expériences du psychologue mais aussi du cinéma (ce dont on se doutait un peu).
Nombreux sont les films à se référer au travaux du psychologue Stanley Milgram, mais rares sont ceux qui le citent nommément. Ses expériences menées au début des années 1960, visant à démontrer l’obéissance de l’individu aux figures d’autorité, ont certainement influencé la population américaine (en premier lieu). Impossible de la quantifier, mais peut-être Milgram a-t-il aidé à moduler l’opinion publique sur la Guerre du Vietnam quelques années plus tard ? Une certitude est qu’il a nourri et guidé l’inspiration de nombreux auteurs. Dans les années 2000, The Killing Room de Jonathan Liebesman est un décalque de son expérience phare adapté à un contexte militaire, avec la notion d’apoptose en aboutissement du processus expérimental pour glacer plus encore le spectateur ; alors que Compliance de Craig Zobel se concentre sur l’aveuglement du cobaye face à une parole autoritaire, tirant aussi ses propres statistiques in fine bien qu’il s’agisse non pas d’une expérience mais d’un fait divers tragique et authentique ; les films allemands La vague de Dennis Gansel et L’expérience d’Oliver Hirschbiegel imaginent eux le glissement possible de l’emprise psychologique d’un individu vers la formation d’une autocratie fasciste.
C’est au regard de ce corpus tentaculaire et incontrôlé qu’il est intéressant de recevoir Experimenter. Le film ne cherche pas seulement à décrire le travail et la vie personnelle de Stanley Milgram (Peter Sarsgaard), il se montre conscient de la portée cinématographique et même cinégénique des travaux de son protagoniste. Michael Almereyda le traduit d’une façon simple mais limpide: à mesure que les expériences de Milgram gagnent en notoriété au fil des années, autrement dit qu’elles se propagent dans la pensée américaine, l’environnement se déréalise à l’écran. Les décors d’Experimenter sont remplacées par des transparences, de plus en plus visibles, censées appuyer l’idée que Milgram a changé la face du monde. Si l’humain devient une matière malléable notoire, son prétendu libre-arbitre s’étiole immanquablement. Alors le monde perd de son relief, il n’est bientôt plus qu’une prison, quatre murs, et cette image donne sens aux projections qu’Almereyda utilise comme décors. Stanley Milgram a tendu la pilule rouge à ses congénères. Et notamment au spectateur, qui reste le premier à remarquer qu’ici tout fait toc. Le concept se double alors d’un discours sur le dispositif cinématographique, puisque le spectateur accepte toujours un pacte tacite quand il pénètre dans une salle : croire le temps du défilement à tout ce qu’on lui montre à l’écran. La figure d’autorité, c’est la lumière du projecteur et aucunement un spectateur ou un autre, assis dans la salle, quel qu’il soit. Dans Réalité (Quentin Dupieux, 2015), quand Jason Tantra (Alain Chabat) monte sur l’estrade et veut arrêter une projection, qu’il en soit le créateur importe peu, il n’a aucune prise sur ceux qui regardent son film. Le spectateur n’obéit qu’au faisceau du projecteur.
Puisque tout cela n’est ni neuf ni renversant, Michael Almereyda s’en amuse plus qu’autre chose. Avec ses transparences voyantes, donc. Mais aussi avec des postiches comme le collier de barbe qu’arbore Peter Sarsgaard, aussi bien collé que celui de Bernard Campan grimé en professeur de collège d’un autre temps. Et quand Almereyda filme le tournage d’un téléfilm sur Milgram (The Tenth Level, 1976), sa mise en abyme impose Kellan «Twilight» Lutz dans le rôle de William Shatner, qui lui-même interprétait Stanley Milgram. Comme test de la croyance du spectateur en ce qu’il voit, difficile de faire plus extrême.
Experimenter en devient un objet théorique plus qu’il n’est immersif. En filmant l’envers (et l’aplat) du décor, ce qu’il donne à voir des expériences de Milgram ne provoque pas l’effet habituel de leurs résurgences cinématographiques (dans The Killing Room, par exemple). Une frustration que l’on ne saurait retenir contre Experimenter, puisqu’il reste avant tout un biopic de l’instigateur de ses expériences. Et à ce titre, il a au moins le mérite d’être atypique.
EXPERIMENTER (Etats-Unis, 2015), un film de Michael Almereyda avec Peter Sarsgaard, Winona Ryder, Jim Gaffigan, Anthony Edwards, John Leguizamo. Durée : 90 min. Sortie française le 19 novembre 2015.