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Retour à Fukushima pour le réalisateur d’Himizu. Sono Sion filme à nouveaux les zones évacuées, qu’il transforme dans The Whispering Star en paysages extra-terrestres pour le bien d’une fable métaphysique éblouissante.
J’ai vu The Whispering Star et j’écris ces lignes le 21 octobre 2015, le jour où Marty McFly arrive dans le futur. Le jour où Retour vers le futur 2 ne se conjugue plus au futur, mais au conditionnel passé. C’est une date importante parce qu’elle invite à mesurer la distance qui sépare l’imaginaire du réel.
Le film de Sono Sion se déroule dans un temps lointain où l’être humain est en voie d’extinction. Il a parcouru les galaxies, a dévasté des planètes comme il a dévasté la Terre. Yoko, une gynoïde (Megumi Kagurazaka), voyage à bord d’un vaisseau en forme de maisonnette, et son travail consiste à délivrer les colis qu’une poignée de survivants de l’espèce humaine continue de s’envoyer. Le ton du film étant mélancolique et son imagerie éthérée, la comparaison met quelques minutes à germer mais son protagoniste fait bien dans le futur le même métier que les personnages de Futurama, la série animée de Matt Groening. La distance qui sépare l’imaginaire du réel, c’est aussi celle-ci.
Si les deux racontent la même histoire, la vision du futur selon Futurama est mue par l’espoir quand The Whispering Star admet une perspective fataliste à l’égard des temps à venir. Le point de bascule qui explique qu’il n’est plus question de croire que l’humain puisse prendre soin des planètes qui l’entourent, et moins encore de la sienne, c’est l’accident nucléaire qui a frappé Fukushima en 2011. Les mondes qui accueillent Yoko ont souffert : elle livre ses paquets en traversant des quartiers sinistrés et des plages évidées. Ces lieux, ce sont les véritables zones évacuées de la région de Fukushima qu’à filmé Sono Sion. Et les hommes et les femmes qu’elle croise sont incarnés par des comédiens non-professionnels locaux, immanquablement touchés par la catastrophe.
Dans la série de Matt Groening, les planètes sont parfois hostiles, mais variées et lumineuses. Seulement, il n’en reste plus à découvrir, tout a été vu, tout a été fait, la Lune n’est plus qu’un parc d’attraction désuet, et la fin de l’Univers se visite elle aussi. Lorsque l’on constate cela dans Futurama, c’est avec une pointe d’amertume seulement. Là où Sono Sion dresse l’exact même constat dans The Whispering Star, mais donne pleinement à le ressentir et en souffrir.
Que ferons-nous lorsque nous aurons tout vu ? Yoko s’interroge à ce propos en marchant d’un bout à l’autre de son vaisseau, aller et retour, une allumette à la main. Son geste tend à maintenir la flamme en vie, mais son regard admet qu’elle s’éteigne sous peu. C’est à la fois la marche à la bougie de Nostalghia de Tarkovski et les interludes d’Into Eternity, durant lesquels son réalisateur Michael Madsen s’adresse au spectateur le temps et le temps seulement que son allumette lui alloue avant de laisser le noir envahir l’écran. Son documentaire invitait à s’interroger sur notre propre perception de l’avenir : est-on seulement capable de se représenter un monde dix mille années après les nôtres ? La réponse qu’apporte Sono Sion est que l’humain ne le peut mais surtout ne le souhaite pas.
Cette scène de The Whispering Star durant laquelle Yoko regarde l’allumette se consumer n’est pas un présage alarmiste pour autant. Ce faisant, elle explique toutefois que l’être humain s’est lassé d’explorer l’univers quand il a découvert la téléportation, ayant dès lors perdu le plaisir du parcours, ce qui convoque à nouveau l’idée d’une distance séparant le réel de l’imaginaire, le connu de l’inconnu. Et induit que si la distance n’est plus, n’existe plus non plus la satisfaction de voir ses espoirs taris ou comblés. Mais l’aspect positif de ce constat est que si l’espoir s’avère finalement illusoire, une forme de satisfaction du présent perdure, elle. Cette flamme est à chérir le temps qu’elle dure, peu nous chaut qu’elle nous brûle les doigts.
Régulièrement dans son film, Sono Sion donne à entendre les gouttes d’un robinet qui s’écoulent, une par une. Il insiste aussi sur les pas bruyants de personnages qui placent délibérément sous leur pied de quoi faire résonner leur marche. Tant que les plic et plocs, les claps et claps se fond entendre, il faut tenir et l’on tient. Yoko s’en étonne au début de The Whispering Star, mais les rares humains encore en vie s’envoient toujours des objets, quitte à les attendre des années. Ce sont là des reliques du quotidien, inutiles à leur survie mais qu’importe. Ne comptent pas plus la distance qu’ils parcourent, ou le lieu qui les abrite, mais l’envoi d’un être quelque part, et la réception d’un autre autre part, ce sont là les gestes qui comptent.
Je remercie Sono Sion pour ce présent, offert le jour où le futur n’est déjà plus tout à fait le même.
THE WHISPERING STAR (Hiso Hiso Boshi, 2015), un film de Sono Sion avec Megumi Kagurazaka. Durée : 100 minutes. Sortie en France non déterminée.