THE WALK de Robert Zemeckis : vaste blague et mauvaise chute ?
Visualisez deux tours, symbolisant deux films possibles. L’un est une réflexion habile sur l’imagination. L’autre une farce infantilisante et usante. Visualisez maintenant Zemeckis en funambule se déplaçant de l’un à l’autre, encore et encore. Vous connaissez la chute ?
The Walk revient sur l’exploit de Philippe Petit, toujours incroyable quarante ans plus tard : un matin d’août 1974, le funambule français a marché sur une corde suspendue entre les sommets des deux tours du World Trade Center. Avant d’atteindre ce matin-là le climax de sa carrière, Philippe commence petit : ce sont d’abord des fils tendus entre deux arbres, puis deux autres plus élevés quelques mois plus tard, etc.. Et à chaque fois le même geste, que Zemeckis capte avec dynamisme en se plaçant derrière son personnage, une partie de son visage en amorce, ses mains qui emplissent le champ, s’écartant bientôt l’une de l’autre pour faire apparaître une corde rouge. Il l’étend d’un côté à l’autre, arbre ou poteau sur lesquels il aura jeté son dévolu.
Ce geste, c’est sensiblement le même que celui du metteur en scène qui choisit son plan, son angle et son point de fuite en un coup d’œil.
La correspondance entre les deux coups de main s’explique du fait que Philippe Petit est animé par une même envie que le filmeur, celle de voir son image mentale prendre forme. Le fait que Zemeckis répète le geste n’est pas anodin. Il nous prépare au moment où les mains de son personnage vont se superposer aux siennes, le moment où Joseph Gordon-Levitt incarne autant Philippe Petit que Robert Zemeckis, celui où le World Trade Center concentre l’absolu de la création foraine pour l’un, cinématographique pour l’autre (mais l’art forain est plus que jamais proche du cinéma avec une projection en relief).
The Walk, c’est un concours d’accents et de moustaches où tout le monde arriverait dernier
Robert Zemeckis a raison de rapprocher le fait que la vision du monument provoque un émerveillement unique chez le protagoniste, et le fait qu’elle produise aussi cet effet sur le spectateur a contrario des autres personnages du film. Le spectateur de 2015 de The Walk ne peut qu’être séduit par cette vision confondante du World Trade Center puisque les deux tours n’existent plus depuis bientôt quinze ans. Mais Zemeckis ne se contente pas d’établir cette connexion, il nous fait remarquer grâce à notre double Philippe Petit notre propre admiration pour son accomplissement cinématographique manifeste ; sans qu’il soit pour autant aussi fort que la simple vision des faisceaux lumineux de substitution filmés à Ground Zero par Spike Lee (La 25ème heure, en 2002). De plus, il ne se contente pas de nous le faire remarquer, il le martèle : ce sont des plans du World Trade Center en contre-plongée ou en travelling avant fusant du premier au dernier étage, et c’est aussi ce plan final qui voit les tours illuminées et isolées dans le cadre dans un même élan malaisant, à la fois vaniteux et candide.
Le plus souvent, The Walk est à l’image de ce plan final, d’une mièvrerie désolante. En tant que film forain doublé d’une réflexion sur le cinéma, et avec Ben Kingsley en sus, Hugo Cabret de Martin Scorsese (2011) était déjà nettement plus sobre et maîtrisé. The Walk donne l’impression d’être un cauchemar des Wachowski : et si les insupportables scènes «tarte à la crème» de Speed Racer l’avaient finalement emporté sur le reste, avaient réussi à contaminer l’ensemble ? L’enfer. Le film de Zemeckis ressemble pourtant à cela. The Walk, c’est un concours d’accents et de moustaches où tout le monde arriverait dernier, ce sont des cabotins dans tous les coins, des répliques qui piquent et surtout, surtout, un improbable ratage final.
Car Zemeckis est parvenu à rater sa fameuse séquence finale, celle de la marche entre les deux tours. On conçoit le problème : le cinéaste sera tombé amoureux de l’histoire de Philippe Petit, et un peu de l’homme aussi. Ce n’est qu’une supposition, mais quand cela arrive, un cinéaste s’attendrit toujours pour le pire. Il ne coupe plus rien. Quand Philippe Petit lui dit avoir vu une mouette s’approcher de son visage alors qu’il s’allongeait sur le fil, Zemeckis la filme, quitte à tomber dans le ridicule. Et quand Philippe Petit dit avoir fait non pas un aller-retour, mais une demi-douzaine ce matin d’août 1974, Zemeckis filme et monte le passage tel quel, quitte à diluer prodigieusement l’impact de sa grande séquence finale. Impossible de s’en relever.
THE WALK – Rêver plus haut (The Walk, 2015), un film de Robert Zemeckis, avec Joseph Gordon-Levitt, Charlotte LeBon, Ben Kingsley, James Badge Dale, Clément Sibony. Durée : 123 min. Sortie française le 28 octobre 2015.