L’usine à GAZ DE FRANCE hilarant de Benoît Forgeard

Dans un futur proche, le Président de la République (incarné par Philippe Katerine) est au plus bas dans les sondages quelques mois à peine après son élection. Une réunion de crise est organisée à l’Élysée afin de trouver l’idée de génie qui inversera ce mouvement. Les participants à cette réunion vont à leur tour descendre de plus en plus bas, dans les sous-sols du palais, tandis que l’animateur de la séance Benoît Forgeard tire le plus logiquement du monde tous les fils farfelus de son récit, pour rire de choses sérieuses. Ou pour prendre au sérieux le fait de rire. Ou les deux à la fois.

Les courts-métrages de Forgeard (par exemple La course nue ou Coloscopia) sont construits selon ce principe limpide : partir d’une situation initiale qui a été décalée d’un pas vers l’absurde, et la développer en continuant toujours tout droit dans la direction de l’absurde comme on suivrait l’étoile polaire. C’est encore ce que fait le cinéaste dans la séquence introductive de Gaz de France. Le Président, que l’on surnomme Bird, participe à une émission de TV face aux français(es). Les dés sont pipés, il doit choisir de répondre à la question de la participante n°2 ; mais comme son conseiller spécial et l’assistante de ce dernier lui font en même temps le signe deux, Bird comprend quatre, et ne trouve rien à opposer aux lourds reproches de la participante n°4. Si la réunion de crise est provoquée, et l’histoire du film déclenchée, c’est parce que 2+2 = 4.

Plus Gaz de France avance et plus il se remplit de non-sens, conçus sans exubérance mais au contraire avec un sérieux et un flegme dignes des Monty Python

Comment transposer à l’échelle d’un long-métrage ce qui marche avec une telle évidence sur un format court ? La réponse donnée par Forgeard est tout aussi simple. Il n’y a qu’à élargir le cadre à la conduite d’un pays tout entier ; ainsi on décuple le nombre de personnages impliqués dans l’affaire, et donc le nombre de fils à tirer vers l’absurde. Chacun des participants à la cellule de crise y apporte avec lui un élément aberrant, déséquilibré, qu’il suffira de mettre en branle plus loin dans le film pour fournir à celui-ci un supplément non pas de sens mais de non-sens. Plus Gaz de France avance et plus il se remplit de ces non-sens, conçus sans exubérance mais au contraire avec un sérieux et un flegme dignes des Monty Python, les maîtres du nonsense énoncé à froid. Un Président élu pour ses chansons, un palais de l’Élysée où la personne la plus puissante est celle en charge de l’intendance, un robot programmé pour régler tous les problèmes politiques du pays… Le réel s’effrite bout par bout sous ces coups de griffe, et la réalité parallèle qui le remplace est plus extravagante et donc plus drôle. Mais elle n’est pas moins cohérente ni moins sérieuse ; sous couvert de badiner, y ont été glissés des constats cinglants sur notre présent et des suggestions de solutions facétieuses et réjouissantes.

La réussite de Gaz de France tient également pour beaucoup à la manière dont l’esthétique du film s’inscrit dans le prolongement de cette logique dérangée qui agence le récit. Forgeard joue au savant fou qui nous veut du bien, en nous mettant devant les yeux des images à l’irréalité belle et déroutante, savamment élaborées au moyen de fonds verts omniprésents qui agissent comme une page blanche. Grâce à eux le réalisateur peut rêver à même l’écran sa vision hyperbolique de l’Élysée, évoluant entre les entrepôts secrets d’Indiana Jones et la S-F lo-fi de Cosmodrama (autre film français ne ressemblant à rien de français présenté à l’ACID cette année) au gré du travail sur la profondeur de champ, les jeux de couleurs, les illusions d’optique. Gaz de France se referme sur une de ces illusions, qui permet aux personnages comme au film lui-même de sortir de leur situation impossible par une ouverture dont on dirait pourtant qu’elle n’existe pas.

GAZ DE FRANCE (France, 2015), un film de Benoît Forgeard avec Philippe Katerine, Olivier Rabourdin, Antoine Gouy, Alka Balbir, Anne Steffens. Durée : 86 minutes. Sortie en France le 13 janvier 2016.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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