COSMODRAMA rappelle que le sens de la vie est quelque part entre SOLARIS et les Monty Python

Six scientifiques, formant l’équipage d’un vaisseau spatial, se réveillent amnésiques de leur cryogénisation. Pour eux, les questions « d’où venons-nous ? » et « où allons-nous ? » prennent dès lors un tour pragmatique en plus de leur nature philosophique. Le réalisateur Phillipe Fernandez marche dans les pas des cinéastes ayant abordé ces vastes sujets avant lui, mais il nous aurait encore plus emballés en trouvant une voie nouvelle à explorer.

« Au fait… la réunion, c’est à quelle heure ? » « Je sais pas, je suppose qu’on va nous informer » « Oui bien sûr ». Cosmodrama démarre avec ces paroles banales, échangées autour d’une fontaine à eau automatique située au croisement de deux couloirs, par deux hommes peu sûrs de ce qu’ils font là. La scène ouvre une piste « The office dans l’espace », qui par la suite ne sera pas tout à fait suivie en tant que telle, mais plutôt légèrement réorientée en lui associant d’autres formes d’humour absurde : une pincée de bizarrerie belge (« pour le lunch, vous êtes attendus au lounge », à prononcer en effaçant toute trace d’accent anglais), un soupçon d’esprit Canal, une dose d’héritage des Monty Python – après tous, les protagonistes du film sont à la recherche du sens de la vie. Pour les accompagner et les regarder réfléchir Cosmodrama mêle donc le comique au sérieux, et étend ce programme d’association des contraires à tous les domaines – et ce d’entrée de jeu, puisque le postulat inaugural du film fait coexister l’absolue connaissance (les personnages étant des scientifiques de haut niveau dans leur domaine) et l’ignorance la plus totale, celle de la naissance au monde (l’amnésie de l’équipage créant les conditions d’une seconde naissance).

Celui qui rayonne à l’écran, et n’est pas loin de voler le film, c’est Jackie Berroyer en Albert Einstein

Par la suite le trivial côtoie l’absolu, comme l’inspiration artistique la rigueur scientifique et l’intime la science-fiction ; et les rêves s’immiscent dans le réel, de même que les hallucinations durables (une très belle idée, dérivée de Solaris, qui vient redonner du souffle au récit à mi-parcours) dans la perception sensée du monde. Cette envie de contraste est cultivée jusque dans la définition des protagonistes, chacun ayant son style et ses manières propres – il en va de même pour le niveau de leurs interprétations, malheureusement hétérogène. Celui qui rayonne à l’écran, et n’est pas loin de voler le film, c’est Jackie Berroyer en Albert Einstein. Aussi brillant et farfelu que l’original, son personnage d’astrophysicien vulgarise à merveille l’état actuel de notre savoir – et de nos lacunes – dans ce domaine, tout en faisant preuve d’un recul espiègle et délectable face au risque d’une trop forte solennité.

Mais même Berroyer-Einstein ne peut éviter d’être étouffé par le dispositif qui coupe au film ses ailes, le rendant intriguant mais inabouti, plaisant mais borné (au sens mathématique). Mi-expérience de laboratoire, mi-exposé de fiches Wikipédia, Cosmodrama peine à insuffler du cinéma dans son propos. Il lui manque une intensité, un élan qui le ferait s’échapper du cadre strict de son « drame métaphysique en quatorze stations » (annonce faite en préambule), rompre avec le ronron de la récitation des grandes théories et découvertes scientifiques. Cela aurait pu se faire par le chemin de l’humour désacralisant (les Monty Python, The office), ou du vertige philosophique (Tarkovski, Kubrick). Mais Fernandez garde ces deux possibilités sous cloche, au prétexte peut-être que la vie est surtout menée par le hasard, l’ennui, équivalent des 95% de vide (la « matière noire » que l’on ne voit pas) qui constituent l’espace, contre 5% de moments d’emballement intense brillant comme des étoiles. Dans ce cas son Cosmodrama se serait peut-être mieux épanoui au format série, sous la forme d’un feuilleton épousant plus naturellement le rythme de la vie et l’émergence lente de réponses à des interrogations profondes.

COSMODRAMA (France-Belgique, 2015), un film de Phillipe Fernandez, avec Jackie Berroyer, Bernard Blancan, Emilia Derou-Bernal, Emmanuel Moynot. Durée : 112 minutes. Sortie en France le 29 juin 2016.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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