NAHID, la contrainte dans la peau

Puissant portrait de femme, beau premier film (d’une femme), Nahid nous rappelle une vérité que l’on avait peut-être oubliée : les films qui nous arrivent d’Iran ne parlent pas forcément que de ce pays, ils peuvent tout aussi bien avoir des choses à nous dire sur nous, où que nous soyons.

Nahid, héroïne du film qui porte son nom, vit dans une ville du nord de l’Iran, où les immeubles mornes se dressent sous le vent et la pluie d’un hiver oppressant, à mille lieues du fourmillement de la capitale Téhéran. Loin des yeux et des directives en provenance de celle-ci, en apparence ; pourtant l’autoritarisme du régime des mollahs étend bel et bien ses ramifications jusque là, dans ce coin reculé du pays. Il est silencieux, invisible, sans manifestation concrète, mais il est intégré par tous, faisant ainsi de chacun un « gardien de la révolution » en puissance vis-à-vis des autres. Tous prisonniers, tous surveillants : même plus besoin de panoptique, d’ailleurs aucun représentant officiel de l’ordre n’apparaît dans Nahid.

Une fois le doigt mis dans l’engrenage des interdits et règlements stricts, la société n’en ressort plus, et ne peut que s’y enfoncer sans fin. Nahid, quant à elle, veut justement en sortir, et alors la société se retourne toute entière contre elle.

Le tort de Nahid n’a pas non plus de manifestation effective. Ce qui lui est reproché relève de la seule intention, qui ne conduit à aucune infraction : revendiquer la liberté de mener sa vie sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit, et certainement pas à un homme. Nahid veut être émancipée, sans pour autant penser à mal – elle ne souhaite pas renverser ou remettre en cause la société, simplement élever son fils sans retourner auprès de son ex-époux, ou devenir dépendante d’un nouveau mari. On apprend au passage l’existence en Iran d’un contrat de mariage temporaire (et renouvelable), qui permet de s’arranger avec les raideurs des règles et coutumes officielles… Ainsi même les manières de contourner les règles suivent des règles. Une fois le doigt mis dans l’engrenage des interdits et règlements stricts, la société n’en ressort plus, et ne peut que s’y enfoncer sans fin. Nahid, quant à elle, veut justement en sortir, et alors la société se retourne toute entière contre elle. Dans le même temps son ex, héroïnomane et bon à rien, est soutenu par tous et en toutes circonstances, car lui joue parfaitement le jeu et joue le rôle social qui lui est assigné le petit doigt sur la couture du pantalon.

En ajoutant à cela la place importante échue dans la ville à la vidéosurveillance, Nahid devient une démonstration par l’exemple des abus et de la coercition qu’entraînent les législations de contrôle d’une population. Les caméras et les écrans de contrôle qui leur sont rattachés sont partout, filment tout, sans but clair et sans efficacité notable ; mais si elles ne permettent d’arrêter ni voleurs ni agresseurs, c’est par leur biais que la « trahison » de Nahid sera découverte. La simple aspiration à la liberté, à l’autonomie, à la vie privée devient un délit. Il n’y a ni victime, ni dégât à mettre en face de celui-ci, ce qui n’empêche pas l’entourage de l’héroïne de l’éreinter comme une criminelle de la pire espèce. Cette douleur qu’elle a soi-disant causée et qui ne s’observe nulle part, Nahid n’a d’autre solution que de se l’infliger à elle-même – et de plus en plus profondément. Quand on la rencontre au début du film, Nahid a l’auriculaire blessé ; une heure et demie plus tard, c’est toute sa main qui est bandée, de sa propre initiative désespérée. Le faux happy end qui suivra, où elle se rend de guerre lasse à un homme qui l’aime et qui l’emprisonne (par l’argent, principalement), prend un goût encore plus amer et nous fait craindre pour la suite.

NAHID (Iran, 2015), un film de Ida Panahandeh, avec Sareh Bayat, Pejman Bazeghi, Navid Mohammadzadeh. Durée : 104 minutes. Sortie en France le 24 février 2016.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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