9 films en lice pour la Palme d’or… plus jamais revus depuis !

Chaque année, le festival de Cannes propose une vingtaine de longs-métrages en Compétition. Que des films bien nés, peu importe s’ils repartent les mains dans les poches, ou si la critique les amoche. Ils trouveront le chemin des salles, avec logo cannois et mention «En compétition» dans un coin de l’affiche. Tous sauf quelques-uns qui restent inédits, du moins dans nos contrées… pourtant plus accueillantes que d’autres.

 

Pourquoi 9 films seulement ? Il y en a forcément plus à ne pas s’être frayé de chemin jusqu’à nos salles obscures. Sans doute, mais pour trouver un dixième compétiteur cannois lésé, il faut remonter au siècle passé, de plusieurs années même, et plus on s’éloigne de l’avènement d’Internet (fin des années 1990), moins les sources sont fiables quant à l’exploitation cinématographique française. Alors, voici la preuve par neuf que la Compétition cannoise n’ouvre pas toutes les portes.

 

En compétition en 2013

SHIELD OF STRAW, de Takashi Miike

Annoncé comme un «grand film hawksien» par Thierry Frémaux lors de l’annonce de la Sélection officielle, la comparaison est passée au-dessus de la tête des spectateurs de l’Amphithéâtre Lumière ce matin-là. Trop occupés à se décrisper pour ne pas exploser façon Scanners face au déluge de pétarades et de cris hystériques en cours sur l’écran. La plupart des 877 films de Takashi Miike ne sont jamais sortis en salles en France, et celui-ci ne déroge donc pas à la règle, même s’il fut traité sur un pied d’égalité avec La vie d’Adèle ou Inside Llewyn Davis durant toute une semaine de mai.

Tatsuya Fujiwara dans SHIELD OF STRAW

 

En compétition en 2010

TENDER SON – The Frankenstein Project, de Kornél Mundruczó
CHONGQING BLUES, de Wang Xiaoshuai
SOLEIL TROMPEUR 2, de Nikita Mikhalkov

Ceux qui estiment que Thierry Frémaux propose en 2015 une Compétition allégée et plus commerciale que lors des éditions précédentes peuvent prendre le Festival 2010 en exemple. En marge de la Palme d’or Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul, d’autres propositions radicales grossissent les rangs de la Compétition : Chongqing Blues, My Joy, Tender Son ou même Outrage de Takeshi Kitano. La section Un Certain Regard serait-elle aujourd’hui devenue l’écrin idéal pour ce cinéma ? La réapparition de Mundruczó après Tender Son au sein de la sélection parallèle avec son film suivant White God (2014) est un premier argument pour abonder en ce sens.

En compétition en 2008

RENDEZ-VOUS A PALERME, de Wim Wenders

Là, c’est un cas de figure singulier puisque le réalisateur est célèbre, et a même remporté la Palme d’or (Paris, Texas, 1984). Avant ce film-ci, il faut apparemment remonter aux années 1970, décennie durant laquelle il se fait connaître avec ses premiers longs-métrages (Faux mouvement, L’ami américain…), pour que Wenders tourne des films dont les distributeurs français ne souhaitent pas (encore).

En compétition en 2003

PURPLE BUTTERFLY, de Lou Ye
THE TULSE LUPER SUITCASES – part 1 : the moab story, de Peter Greenaway

Même si la sortie en salles en France ne fait pas tout, cela reste un indicateur fort de la vie post-festival d’un film d’auteur. Le film inédit de 2003 de Peter Greenaway, du fait qu’il aurait peut-être même plus sa place en tant qu’installation dans un musée d’art contemporain (on peut le dire pour tous ses films, c’est pratique), confirme cette tendance. Ses trois suites connaitront leur Première mondiale à Berlin, Venise et Toronto, et pour toujours moins de territoires désireux de les acquérir. L’inédit Purple Butterlfy de Lou Ye, qui connut un succès d’estime a posteriori, aurait en revanche tendance à infirmer la théorie. Ce qu’il y a de certain, c’est que les deux films n’ont fait que de la figuration sur la Croisette cette année-là. Comme la quasi totalité de la Compétition du reste, le Président Patrice Chéreau n’ayant pas manqué de le faire savoir en répartissant 7 prix entre 4 films lors de la cérémonie de clôture (dont la Palme et le Prix de la mise en scène tous deux remis à Elephant de Gus Van Sant, après avoir demandé une dérogation à la direction du festival).

En compétition en 2001

TAURUS, d’Alexandre Sokourov

Pauvre Alex… Quand il imagine sa «trilogie des tyrans du XXème siècle», avec une approche formelle aussi éloignée du biopic traditionnel de politicien que son Faust ne l’est de Ghost Rider, il devait bien se douter qu’au moins un de ses portraits ne voyagerait pas jusqu’aux salles françaises. Pas même les plus petites du MK2 Beaubourg. Moloch (sur Hilter, 1999) et Le soleil (sur Hirohito, 2005) sortent au cinéma mais Taurus, qui raconte les derniers jours de la vie de Lénine, n’est finalement visible chez nous en 2011 que pendant la quinzaine cannoise. Mauvais choix de personnage, sûrement. Une fiction sur George W. Bush lui aurait pourtant assuré autant de copies que Le seigneur des anneaux l’hiver venu.

Leonid Mozgovoi dans TAURUS

 

En compétition en 2000

ESTORVO, de Ruy Guerra

Celui-ci, peut-être ne saviez-vous même pas qu’il existait… Impossible de vous blâmer. On aurait bien vu d’autres films cannois de l’année à sa place en Compétition : La vierge mise à nue par ses prétendants de Hong Sangsoo (Un Certain Regard) ? Tigre et Dragon d’Ang Lee (Hors Compétition) ? Femme fatale de Brian De Palma (Hors Compétition) ? Peppermint Candy de Lee Changdong (Quinzaine) ? Mais ce petit jeu est cruel, et facile. Après coup, c’est toujours plus simple de rebattre les cartes. Et qui plus est, cela ne fait que renforcer la suprématie sans partage de la Compétition sur les autres sections. Alors qu’en 2015, avant de découvrir les films du moins, le fait d’attendre les nouveaux Weerasethakul, Kurosawa, Porumboiu ou encore Kawase au Certain Regard donne envie de repenser la hiérarchie tacitement établie.


La question est maintenant de savoir quel film de la compétition cannoise 2015 restera inédit… Aucun ? C’est l’option la plus raisonnable. Avec un peu de moins de bienveillance, on peut trouver des candidats. Vous songez au(x) même(s) que nous ? Bien sur que vous songez au(x) même(s). Allez, chut.


Le 68ème festival de Cannes se déroule du 13 au 24 mai 2015.

 

Bonus DVD : SOUTHLAND TALES, de Richard Kelly, en compétition en 2006

Celui-là est à part, en premier lieu car il a finalement été rendu visible en France, via une sortie directement en DVD trois ans après son passage à Cannes ; et parce qu’il a une véritable histoire de fou. Comme le film lui-même, œuvre totale et démente d’un jeune (31 ans quand il a monté les marches du Palais des festivals) réalisateur labellisé « prodige » suite à son coup d’essai devenu culte Donnie Darko. Situé dans un futur alternatif proche (2008), devenu futur antérieur quand le film est sorti, mais gardant ses qualités d’anticipation (la crise énergétique, les durcissements des lois d’exception type Patriot Act avec censure d’Internet à la clé, Clinton candidate à l’élection présidentielle), Southland Tales refuse de choisir entre la réalité et la science-fiction, les néo-conservateurs et les néo-marxistes, la Bible et la junk culture. Ce qui le rend profondément dysfonctionnel, mais rempli de morceaux de bravoure inoubliables tel le playback de Justin Timberlake sur All these things I’ve done des Killers. Sélectionné à Cannes sur la base d’une copie de travail non finalisée, retravaillé et remonté pendant de longs mois après sa projection houleuse, tombé dans l’oubli alors qu’il se rêvait colossal, le film est à l’image de ses personnages rêvant d’une apocalypse à la En quatrième vitesse mais n’ayant droit qu’à une déchéance façon The Big Lebowski. Présenté cette année, avec les frères Coen en présidents du jury, ses chances auraient peut-être été meilleures.