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En six années d’existence, Séries Mania s’est imposé comme le plus grand rendez-vous public français consacré à la télévision et aux séries. Gratuit, truffé d’invités de qualité, proposant forum de coproduction pour les professionnels et assises européennes, mais aussi tables rondes publiques sur la question du genre à la télévision, offrant également une programmation riche et à la durée conséquente (dix jours cette année), le festival a de quoi ravir tous les amateurs de séries, les obsédés de Game of Thrones comme les fans de polars nordiques. Sa qualité principale reste pour nous son équipe de défricheurs qui nous permet de découvrir des séries du monde, celles dont on n’a pas forcément entendu parler dans les médias généralistes.
Grand-messe des obsédés du binge-watching, Séries Mania propose encore et toujours les incontournables nuits consacrées aux phénomènes The Walking Dead ou encore Game of Thrones dont la cinquième saison vient de débuter aux États-Unis. Probablement les événements qui drainent le plus de public. Les téléchargeurs compulsifs ont donc le plaisir de découvrir les nouveaux épisodes de leurs séries préférées en même temps que leur diffusion américaine. En ce qui concerne la sélection américaine, qui propose un nombre important de comédies cette année, Séries Mania fait toujours bien son job en proposant un panel de ce qui a pu se faire de meilleur sur l’année passée, du très neuf au moins récent.
On signalera la large présence des nouveaux diffuseurs du marché, Amazon et Netflix en tête, avec notamment la série Mozart in the Jungle en clôture du festival, réjouissante plongée dans les coulisses de l’orchestre symphonique de New York portée par Gael Garcia Bernal en chef d’orchestre génial ; mais aussi Daredevil ou Bloodline du côté de Netflix. Ou encore les gros hits de la comédie dramatique dont nous avons beaucoup parlé dernièrement, Olive Kitteridge avec Frances McDormand (de Fargo, le film, pas la série) et Richard Jenkins (vénérable Nathaniel Fisher Sr dans Six Feet Under) et Transparent, touchante transformation d’un sexagénaire qui se révèle femme au fond de lui depuis toujours, avec les grandioses Jeffrey Tambor et Bradley Whitford. Pour finir ce parcours à rebours, l’ouverture de Séries Mania s’est faite cette année sur le premier épisode de Wayward Pines, série d’aventure fantastique réalisée et produite par M. Night Shyamalan en avant-première publique mondiale avant sa diffusion mi-mai (même si le pilote tourne depuis plusieurs mois dans des festivals professionnels comme le MIP à Cannes). Un événement exceptionnel dont nous reparlerons bientôt, notre obsession pour Shyamalan nous forçant à prendre un peu de temps pour lui consacrer un article entier.
Avant d’évoquer le meilleur de la cuvée 2015 de la vitrine internationale de Séries Mania, parlons tendance. Avec plus de soixante séries sélectionnées on peut en effet largement prétendre connaître ce qui marche en France, en Angleterre, en Australie ou encore aux États-Unis, du moins d’après les chaînes qui sont souvent obsédées par les mêmes sujets pendant plusieurs années. Si Frédéric Lavigne, directeur artistique du général, annonçait en début de festival que l’espionnage était vraisemblablement le motif qui faisait figure de fil rouge cette année, nous irons encore plus loin : la fresque historique a le vent en poupe et revient plus forte que jamais. Nous nous souvenons bien entendu des fictions et des téléfilms France Télévisions, adaptations de nouvelles ou feuilletons historiques poussiéreux, mais force est de constater que Downton Abbey et consorts ont marqué en profondeur le paysage audiovisuel mondial. Et les productions de qualité sont toujours trustées par les deux pays anglophones les plus méthodiques, originaux, souvent précurseurs, en termes de fiction : l’Angleterre et l’Australie.
Gallipoli, impressionnante fresque se déroulant en 1915, revient cent ans après la bataille des Dardanelles sur l’affrontement où les forces australiennes, britanniques et françaises se sont alliées face à l’Empire ottoman. Le jeune Kodi Smit-McPhee de Laisse-moi entrer et Young Ones y tient la vedette. Autre projet australien marquant, l’adaptation du roman de Kate Grenville en deux épisodes de cent minutes, The Secret River, qui s’attarde sur la colonisation de l’Australie par les Anglais au début du XIXe siècle. Ambiance La Petite Maison dans la prairie face aux aborigènes assoiffés de sang de Mad Max. Pile le même sujet que la britannique Banished côté BBC ! Pour finir, citons deux autres réussites critiques et publiques fortement plébiscitées cette année, Indian Summer, coproduction entre l’Angleterre et la Malaisie qui dépeint le déclin de l’Empire Britannique en Inde en 1932. Au programme, confessions sur l’oreiller et manigances sur fond d’été indien, comme si Rome rencontrait Indian Palace. Le même type de ton, chambres feutrées et trahisons entre amants, est au coeur de Poldark. Ambiance guerre d’indépendance américaine et paysage de Cornouailles pour cette mini-série de 8×60 minutes.
Autre constatation amère : le crime est partout à Séries Mania. Broadchurch a traumatisé les diffuseurs mondiaux qui s’obstinent à reproduire le même schéma ou à tenter d’infimes variations autour de la même formule, le meurtre ou la disparition d’un jeune garçon ou d’une jeune fille. Si cela permet de pénétrer dans un milieu exotique et inconnu du grand public, comme celui de la finance avec Follow The Money ou encore de l’écoterrorisme avec la finlandaise Tellus, c’est encore mieux. Si vous voulez vous aussi proposer ce type de programme à une chaîne, maximisez vos chances avec un personnage principal qui ne soit pas un simple flic, histoire que ça change un peu. En France cela donne Disparue, abracabrantesque course-poursuite entre un couple (Alix Poisson et Pef) et leur fille qu’on croit assassinée le soir de la fête de la musique mais qui pourrait se révéler en vie, retenue quelque part. Seule grosse réussite de ce nouveau genre, le thriller noir Jordskott venu de Suède. Une enquête perturbante sur la disparition d’enfants dans une lugubre forêt suédoise. Intrigues à tiroir et rebondissements qui confinent au surnaturel donnent à cette série une couleur bien particulière. S’il faut dix occurrences du même type de programme pour n’aboutir qu’à une seule réussite comme celle de Jordskott cela vaut largement le coup.
Continuons sur les autres excellentes découvertes de cette édition 2015 en passant en revue trois comédies aussi bigarrées que différentes. La très provocante et satirique The Jews are coming revient sur l’histoire du peuple juif, des Dix Commandements à l’Affaire Dreyfus, en se moquant allègrement des us et coutumes et des travers dans les lois inhérentes à toute religion. Ça ne plaira pas à tout le monde et c’est précisément pour cela qu’il faut regarder. Maximum Choppage, délire kungfuesque qui parodie Jackie Chan en catapultant son jeune héros dans un univers cartoon, brosse le portrait d’une communauté asiatique profondément ancrée en Australie, d’un métissage réjouissant et bordélique. Comment la famille de Simon Chan va réagir quand elle découvrira qu’il n’est pas devenu un maître du kung-fu qui aurait étudié à la Martial Arts School de Beijing, mais à la Marshall Arts School de Melbourne ? Notons aussi la présence du triptyque britannique que vous connaissez peut-être déjà Cucumber / Banana / Tofu, en référence aux différents stades de l’érection masculine (selon l’âge, les capacités, c’est vous qui voyez). Trois objets étranges créés par Russel T. Davies, génie de la télévision anglaise à qui on doit Queer as Folk ou encore le reboot en 2005 de Doctor Who. La première partie, de 8×45 minutes, série borderline entre drame et comédie, s’intéresse aux crises existentielles d’un couple gay de quadragénaires insatisfaits. Si elle monte doucement en puissance, évoluant entre drame absurde et comédie noire violente, Cucumber s’avère être la plus fascinante des trois, la plus attachante de par son couple dysfonctionnel. Banana multiplie les points de vue sur les événements de la trame principale, celle de Cucumber donc, en donnant de la voix aux personnages secondaires de celle-ci ; à chaque fois un personnage différent pour un regard différent. Plus jeune, plus sexy, plus groovy, elle accompagne avec grâce et humour la série principale. Tofu, la petite dernière, est une websérie documentaire revenant sur le travail de création de Davies, des acteurs, mais surtout sur les témoignages de britanniques évoquant leur vie sexuelle. On vous conseille bien évidemment Cucumber et ses petites sœurs par la suite si vous êtes en manque.
Le meilleur de la production européenne s’avère encore une fois frondeur, faussement innocent, toujours au plus près de l’humain, le meilleur comme le pire. Dans l’intrigante The Casual Vacancy, qui adapte JK Rowling avec malice, une véritable guerre se joue entre jeunes et vieux, riches et pauvres autour d’une place à pourvoir dans la comité paroissial après le décès du personnage interprété par Rory Kinnear (toujours dans les bons coups, de Black Mirror à Southcliffe). Synecdoque habile de l’Angleterre et de son état de désoeuvrement, The Casual Vacancy demande à être découverte jusqu’au bout. Un intérêt certain s’est développé autour de The Refugees qui reprend avec beaucoup de sérieux (trop peut-être ?) le concept des Gluants, un fameux épisode de South Park. Après une catastrophe aux proportions inconnues, de nombreux habitants du futur voyagent dans le temps pour se réfugier à notre époque. En regardant les événements par le petit bout de la lorgnette, The Refugees installe son ambiance angoissante et mystérieuse avec parcimonie. On ne peut qu’espérer que l’ensemble de la série soit à la hauteur de son pitch rocambolesque, même si la tournure que semble prendre la série semble plus proche de celle de Terminator que d’un véritable questionnement sociétal ou écologique. Citons aussi au rayon européen Blue Eyes, traque intense et baroque dans le milieu de l’extrême droite et plus particulièrement d’un parti politique suédois. Enfin, l’excellente Glue, créée par l’un des réalisateurs de Skins dont elle se veut la digne héritière, est probablement ce que nous avons pu voir de plus impressionnant en termes de mise en scène et d’inventivité plastique. Mort et mal-être adolescent paralysent une petite communauté qui va devoir trouver le coupable d’un meurtre, et oui, encore, tout en continuant à s’affairer entre les courses de chevaux et les récoltes dont il faut s’occuper. Une nouvelle vision spectrale de l’adolescence.
Au panthéon des meilleures séries que nous avons pu voir cette année, décernons cinq prix. Le premier, celui de l’audace, revient à La Casa, série argentine réalisée intégralement par Diego Lerman (dont le dernier film, Refugiado, sort par ailleurs le 13 mai). L’intrigue principale tourne autour d’une splendide demeure qui repose sur le delta du Tigre et convoque treize histoires différentes, qui s’étendent du début du XXe siècle jusqu’en 2026. Un concept proche de celui des Building Stories de Chris Ware, des considérations sociales riches et un point de vue sans détour pour un engagement de la part du réalisateur digne de celui de Steven Soderbergh quand il réalise toute la première saison de The Knick. Dans la même veine pédagogue et au discours social stimulant, saluons la série australienne The Principal avec Alex Dimitriades (Nick dans Hartley Coeurs à vif, souvenez-vous). Meurtre et enquête – décidément – vont bouleverser la vie dans un lycée pour garçons particulièrement difficile. C’est pour son discours, l’attention toute particulière portée aux adolescents et aux possibilités qui leur sont offertes, son vrai travail d’éducation, que The Principal mérite le prix de la pédagogie. Une valeur essentielle de la télévision que nous avons tendance à brocarder ou à facilement mettre de côté. Notre prix de la meilleure série d’action ira sans conteste à Umbre, production roumaine estampillée HBO Europe qui a tout d’une grande. La double vie de Relu, chauffeur de taxi et homme de main pour la pègre locale, se voit chamboulée lorsqu’il tue accidentellement un homme. Une tension de tous les instants, rehaussée par l’adoption de la perspective de celui qui est là pour abattre et non pour réfléchir, soit un renouveau bienvenu dans la série mafieuse.
Notre coup de cœur côté espionnage, vu qu’il en faut bien un, se porte tout naturellement vers Deutschland 83. Reagan n’hésite pas à faire savoir qu’il est le représentant du monde libre face au tyran qu’est l’Europe de l’Est. Un adolescent de la RDA est alors propulsé espion et se retrouve à infiltrer l’armée de l’Allemagne de l’Ouest pour trouver les secrets de la stratégie militaire de l’OTAN. Ambiguë à souhait, entre Donnie Darko pour sa bande son américanisante cold wave et Good Bye, Lenin ! pour sa nostalgie bienveillante, Deutschland 83 allie plusieurs qualités essentielles pour toute série télé : action et vraisemblance, dans le cadre bien particulier de l’espionnage dans l’Allemagne divisée, sentimentalité et personnalités atypiques nous permettant de croire totalement à cette incongrue épopée d’adolescents obligés de jouer les adultes. Une digne héritière de Buffy contre les vampires et de Homeland en somme. Notre grand prix, section anticipation, l’un des autres créneaux actuels, va sans conteste à Occupied. Quand le Premier Ministre norvégien annonce vouloir abandonner les énergies fossiles et consacrer toute sa production à une nouvelle énergie propre, les pressions des autres gouvernements et des lobbys vont marginaliser le pays. Bientôt, la Russie va envahir la Norvège pour prendre possession des réserves de pétrole et empêcher l’indépendance énergétique norvégienne. De ce point de départ ubuesque, l’auteur de polars Jo Nesbø tire une fable politique troublante sur l’inquiétude d’une guerre latente, l’impossibilité d’innovation dans une société globale. Oubliez Borgen ou Real Humans, l’anticipation politique est sûrement l’avenir de la série nordique, noire, où notre terreur de l’ennemi intérieur nous paralyse, où le fantôme du passé nous empêche de bâtir tout futur. En ce sens, Occupied est la plus grande réussite européenne de ce festival.
Le Festival Séries Mania saison 6 s’est déroulé du 17 au 26 avril 2015.