INSIDE LLEWYN DAVIS de Joel et Ethan Coen

La carrière de Llewyn Davis, chanteur de folk des années 1960, est au point mort. Les frères Coen prennent les choses en main : ils lui imposent des épreuves, ils l’aiguillent à l’aide de symboles à interpréter… mais surtout, ils lui mettent un chat dans les pattes. Débute la première des neuf vies de Llewyn.

Inside Llewyn Davis et A Serious Man (2009) n’ont pas que les années 1960 en commun. Les deux films des frères Coen reposent sur un récit construit comme une boucle, laissant au spectateur le choix d’y voir une parabole funeste ou optimiste sur le destin. Les péripéties éprouvées par Llewyn, chanteur de folk dans l’impasse, peuvent être perçues comme autant d’enseignements, à mettre en pratique dès le lendemain, ou dans une vie prochaine. L’omniprésence d’un chat à ses côtés conforte cette intuition. L’animal semble se régénérer sans cesse, une fois mâle, une autre femelle, domestique ou bien sauvage. Un mimétisme s’opère entre l’homme et son compagnon de fortune : Llewyn aussi pourrait bien avoir neuf vies.

Oscar Isaac dans INSIDE LLEWYN DAVISConcernant cette fameuse «boucle», aucun secret n’est dévoilé ici. C’est seulement la répétition d’une scène qui laisse supposer que le récit d’Inside Llewyn Davis puisse épouser cette forme. Au spectateur de l’insérer ensuite où il le souhaite dans le flot narratif : la fin du film marque alors le terme d’un voyage, ou bien un retour bénéfique à la case départ. Cette seconde perspective, celle d’une boucle impossible, comparable aussi bien à Solaris (Andreï Tarkovski, 1972) qu’à Time (Kim Ki-Duk, 2008), est la plus enthousiasmante. La semaine-clé du personnage, à la croisée des chemins, à l’orée d’une infinité de décisions, prend une toute autre dimension, plus symbolique. Les faits et gestes n’ont plus de valeur immédiate, seule compte la leçon à en tirer. Une fois le récit achevé, dans l’imaginaire du spectateur, Llewyn passe à la mise en œuvre de ces enseignements, qu’elle se conjugue au futur ou au subjonctif passé.

Les vinyles écoutés ou enregistrés par Llewyn Davis, avec leurs sillons faussement parallèles, discrètement divergents, figurent encore les infimes variations de vies possibles du chanteur. Comme dans A Serious Man, c’est la sensibilité propre à chaque spectateur qui le dirige vers une interprétation ou une autre : le personnage est-il maître de son destin ou ne contrôle-t-il rien ? Au cours de cette semaine décisive, de sa première «vie», Llewyn cherche à se ressaisir, à relancer sa carrière. Seule la conclusion change la donne, interrogeant le spectateur sur l’issue de son périple. Mais avant d’en arriver là, et de laisser les autres décider de son sort, l’énergie d’Inside Llewyn Davis réside dans l’implication du héros. L’ajout du préfixe «anti» devant «héros» démange un peu, tant les circonstances jouent en sa défaveur, mais lui se bat. Ou du moins, il s’interroge, il hésite, devant chaque nouveau chemin. Une scène l’illustre mieux qu’aucune autre. Sur la route vers Chicago, Llewyn passe devant un panneau annonçant une sortie pour Akron, la ville où vit désormais son ex-fiancée. Il n’a que quelques secondes pour agir : tourner ou non le volant. Les frères Coen filment d’abord la voiture de l’extérieur, puis depuis l’habitacle. Le second plan embarqué montre la voiture filer tout droit avant de s’attarder, à travers la vitre, sur une voiture jumelle qui prend la sortie et s’engage vers Akron. L’espace de quelques secondes, Llewyn et son auto semblent s’être dédoublés, comme s’il allait pouvoir mener deux vies distinctes, en léger différé. Cette idée rappelle le principe de la Ghost Car dans les jeux vidéos de course automobile : le joueur conduit son bolide et s’affronte lui-même, il essaye de se battre, ses précédentes tentatives apparaissant à l’écran sous une forme de voitures fantômes. Tout le programme d’Inside Llewyn Davis tient dans cette analogie : Llewyn et les fantômes de ses vies perdues, Llewyn face à lui-même. Comme dans les meilleurs films des Coen, le ludisme et la mélancolie ne font qu’un.


Illustration, pour le moins éloignée de l’univers d’Inside Llewyn Davis, du concept de la Ghost Race. Ici dans le jeu vidéo Mario Kart : Double Dash !! (Nintendo Game Cube, 2001) :


INSIDE LLEWYN DAVIS (Etats-Unis, 2013), un film de Joel et Ethan Coen. Avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, F. Murray Abraham, Justin Timberlake. Durée :  105 min. Sortie en France le 6 novembre 2013.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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