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Par goût du feuilleton, autant que par nécessité pour répondre aux contraintes de l’extérieur (remplir des heures de programme tant que l’audience le réclame), toute série télévisée conçoit puis cultive son univers propre, avec ses occupants, ses lieux, ses ramifications. Au sein de cet univers d’univers, et grâce à la source littéraire dont il est issu, celui de Game of Thrones se distingue par ses dimensions et l’accroissement permanent de celles-ci.
Au début, il y eut le Big Bang. Et depuis (pour faire court), les galaxies et autres amas rassemblant les particules émises à cette occasion s’éloignent les unes des autres, sous l’effet de cette énergie initiale et de celle produite par chaque choc intervenant au hasard des trajectoires. La théorie du chaos, popularisée par le Docteur Ian Malcolm dans Jurassic Park, se raccorde ainsi au concept d’entropie, mesure du degré de désordre d’un système donné. Comme on peut le lire sur la page Wikipédia dédiée, « plus l’entropie du système est élevée, moins ses éléments sont ordonnés, liés entre eux […] et plus grande est la part de l’énergie du système libérée de façon incohérente ». En deux mots : si l’entropie augmente, le bordel aussi. Le hic, c’est que la physique affirme que l’entropie ne peut qu’augmenter (ou, dans le meilleur des cas, rester constante en attendant de repartir de plus belle à la hausse). Le chaos appelle toujours le chaos.
Ce qui a été défini et démontré pour notre univers est transposable à l’univers romanesque de Game of Thrones, sans requérir de modification, en remplaçant simplement le Big Bang par George R.R. Martin. Personne ne contestera à l’auteur des livres à l’origine de la série un tel statut, de force monumentale, étant donné le jeu de lois fondamentales qu’il a instauré pour son œuvre. Ces lois radicales, d’exception, battent en brèche les coutumes routinières et dépourvues de tout risque qui régissent le fonctionnement ordinaire des séries TV. La violence de ce coup d’état et la griserie qu’il provoque expliquent une bonne partie de l’immense succès rencontré par Game of Thrones. Abrogée, l’immunité des personnages importants (lesquels, protégés par leur statut, ne meurent jamais dans une série « normale ») ; balayée, la logique d’agrandissement par petits pas, faisant que tout nouvel élément introduit dans une série doit être directement rattaché à un élément déjà connu.
Dans Game of Thrones, rien ni personne n’est au-dessus du chaos. One rule : no rule. Chaque épisode peut servir de scène au décès de n’importe quel protagoniste, puissant ou misérable ; de même qu’il peut accueillir le dévoilement d’un pan entièrement nouveau du monde, des continents qui le composent et des peuples qui l’habitent. Le générique évolutif de la série exprime parfaitement cela : de temps en temps, sans prévenir, une nouvelle pièce du puzzle y est intégrée à la carte du monde. Chacune de ces naissances symboliques (d’une contrée, d’une société portées à notre connaissance) et de ces morts bien réelles sape les fragiles équilibres en vigueur à cet instant. Aucune force ne contribue à établir l’ordre ou la stabilité, l’expansion du monde de la série pas plus que les collisions qui se produisent en son sein. L’entropie augmente inéluctablement, le désordre se propage partout, le chaos se généralise et s’intensifie. Plus Game of Thrones avance, plus son univers s’émiette et plus ses personnages voient leurs objectifs (retrouver des proches, conquérir ou asseoir un pouvoir) s’éloigner malgré tous leurs efforts poussant dans l’autre sens.
Les deux premiers épisodes de la saison 5, projetés au Festival Séries Mania, ne dérogent pas à ce principe. Les particules s’éloignent (Arya qui part sur un autre continent) ; leurs chocs aléatoires (quand les routes de Brienne et de Sansa Stark se croisent) ne produisent aucun effet positif ; les états d’équilibre sont voués à être transitoires (la tranquillité de Bronn, retiré des batailles) ; et les plans élaborés par les esprits humains sont déjà caducs alors qu’ils viennent tout juste d’être mis en branle – Varys emmène Tyrion à la rencontre de la puissante Daenerys, mais nous voyons dans le même temps la puissance de celle-ci s’effriter… Cette dynamique destructrice qui régit Game of Thrones pousse à considérer de manière particulière la question fondamentale qui se pose pour chaque série TV, celle de sa conclusion, de la fin de son univers. Reprenons le parallèle avec la physique et l’astronomie : les observations les plus récentes mettent en évidence une accélération de l’expansion de notre univers, ce qui a conduit à l’élaboration d’un nouveau scénario pour l’épilogue, dit du Big Rip (« Grande Déchirure »). Dans ce scénario, toutes les structures, toutes les particules, finissent par être « détruites, étirées par une expansion de plus en plus violente, jusqu’à être disloquées, déchirées ». Le Big Rip, la dislocation comme seul horizon pour tous les êtres et tout ce qu’ils ont pu échafauder, Game of Thrones y va tout droit.
GAME OF THRONES saison 5 (USA), une série de David Benioff & D.B. Weiss, diffusée par HBO. Avec Peter Dinklage, Nikolaj Coster-Waldau, Lena Headey, Emilia Clarke, Kit Harington… 10 épisodes de 60 minutes. Diffusion en France sur Orange Ciné Séries.
Le festival Séries Mania saison 6 se déroule à Paris (Forum des Images) du 17 au 26 avril 2015.