THE VOICE OF WATER a foi en le cinéma d’auteur

L’héroïne du film japonais The voice of water s’est improvisée prêtresse d’un culte religieux factice, qui se développe rapidement au-delà de ses espérances et de son contrôle. À travers le récit de son ascension puis de sa chute, c’est moins de religion que de cinéma que parle Masashi Yamamoto, en opposant les calculs cyniques du cinéma commercial à la beauté franche et entière du cinéma d’auteur.

The voice of water n’est pas neutre dans ce combat : il appartient au camp du cinéma indépendant japonais fauché, aux côtés de Katsuya Tomita (Saudade) et de Koji Fukada (Au revoir l’été). Comme ses confrères, Masashi Yamamoto compense la misère des moyens financiers par une abondance narrative enthousiasmante. Aucun personnage n’est qu’accessoire, l’importance des rôles est changeante et rend l’univers créé très vivant, le récit foisonnant, le propos percutant. Autour de la « prêtresse » Minjon c’est tout un groupe qui prend vie devant nos yeux, dans les coulisses de la secte « God’s water » que l’on voit grandir au fil des miracles soi-disant réalisés, des cérémonies plagiées et retransmises en direct sur internet pour y faire monter le buzz, des prêches rédigés à l’avance par l’agence de marketing sous contrat. Après une scène d’ouverture qui nous mettait dans la situation du croyant crédule, ne voyant que ce que l’on veut bien lui montrer, Yamamoto ouvre progressivement le champ de vision et nous rend ainsi témoin de tous les rouages de cette entreprise, où la foi est un prétexte et son exercice un spectacle illusoire.

Le marché est segmenté par couleurs, allures vestimentaires, décors, ambiances musicales, dans le but d’atteindre et de ferrer tous les publics disponibles

Le rapprochement avec le cinéma naît dans ces scènes, qui pourraient tout aussi bien figurer les coulisses de l’industrie cinématographique dans ce qu’elle a de manipulateur et de faux. Peu importe le message à vendre, seules comptent l’efficacité de la mise en scène et la puissance de son empire sur l’audience. Rendre le public captif, et le faire cracher au bassinet, afin de faire du business plan (l’alpha et l’oméga de God’s water) une prophétie auto-réalisatrice. La logique du marché et des bénéfices prévaut, et en poursuivant son travelling arrière The voice of water nous montre comment ce marché est segmenté par couleurs, allures vestimentaires, décors, ambiances musicales, dans le but d’atteindre et de ferrer tous les publics disponibles via d’autres sectes vivotant pareillement à celle de Minjon. À mi-parcours, suite à un voyage sur les traces de ses origines, Minjon se met à croire d’une foi sincère. Elle décide en conséquence de s’écarter du plan préétabli et validé, désincarné et mensonger, et de faire les choses de façon sincère, en accord avec ses émotions, sa conscience. De faire de la foi une fin émancipée, et non plus un moyen intéressé ; de faire du cinéma d’auteur.

The voice of water est à ce point dépourvu d’illusions quant à l’issue de l’affrontement entre art et marché, qu’il n’offre même pas à son héroïne la possibilité de finaliser son œuvre avant d’être brutalement réprimée

Évidemment, God’s water se met alors à gagner moins d’argent, tout en en dépensant trop. Le sacrosaint retour sonnant et trébuchant sur investissement est bafoué, alors les promoteurs cupides de toutes sortes (les officiels, soft, et ceux qui se cachent dans l’ombre, les yakuzas, plus hard forcément – même répartition des rôles que dans Mulholland Drive) sortent les griffes et mettent en pièces la dissidente. The voice of water est à ce point dépourvu d’illusions quant à l’issue de l’affrontement entre art et marché, qu’il n’offre même pas à son héroïne la possibilité de finaliser son œuvre avant d’être brutalement réprimée. Elle est fauchée en pleine exécution de « sa » cérémonie, dont la mise en scène (soulignée par celle de Yamamoto à cet instant) exprimait quelque chose d’intense, d’unique – à même d’avoir un réel impact sur ceux qui le font et le reçoivent. Le cinéma d’auteur indépendant est tué dans l’œuf, ses représentants sommés de se retirer dans les réserves d’indiens aménagées pour eux à l’écart du monde. Et les bulldozers du cinéma commercial reprennent leur marche en avant, au prix modique d’un changement de façade : une nouvelle interprète, un nouveau nom, un nouveau pitch, et voilà God’s water relancé tel un blockbuster franchisé se parant de nouveaux atours à chaque saison.

THE VOICE OF WATER (Mizu no koe o kiku, Japon, 2014), un film de Masashi Yamamoto, avec Hyunri, Shuri, Natsuko Nakamura, Akihiro Kamataki. Durée : 129 minutes. Sortie en France indéterminée.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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