SAUDADE de Katsuya Tomita

Un panorama grouillant, abondant, démesuré de la société japonaise d’aujourd’hui, percutant désirs d’évasions des autochtones et d’intégration des immigrés. Entre les deux, une souffrance et une haine exacerbées par la crise. Premier film et film fleuve, l’impressionnant Saudade évite tous les pièges de la démonstration appliquée des dysfonctionnements communautaires. Montgolfière d’or 2011 au Festival des 3 Continents.

Si L’enfer du dimanche possède toujours le record du plus grand nombre de plans pour un film, le réalisateur de Saudade a visiblement tenté de s’en approcher en salle de montage. Le film est une succession de micro-scènes, égrenées sur près de trois heures. Le parti-pris déroute un temps, avant d’embrasser sa logique et de la magnifier de minute en minute. Tel un téléspectateur indécis, Katsuya Tomita sembler zapper et balayer violemment les bribes d’existence de ses personnages.

Chacune de ses figures cherche à donner plus de sens à sa vie ; qu’il s’agisse de faire corps avec la nature, de rendre sa terre natale proche de son idéal, de choisir le sol sur lequel s’épanouir, etc. L’espace foulé par les personnages possède une place essentielle dans leur errance. Certains creusent la terre pour y installer des tuyaux, d’autres y trouvent de nouvelles sources pour une eau que leurs patrons vendront ensuite par abonnement. Tomita effectue l’une de ses coupes brutales les plus marquantes lorsque deux ouvriers arpentent un terrain vague. Alors qu’ils se désespèrent que ce futur chantier ait été alloué à une grande société tokyoïte plutôt qu’à leur petite équipe, l’un des deux stoppe la conversation et pointe les montagnes qui leur font face. Surexcité, il désigne un point noir juste au-dessus, dans le ciel. Le second ouvrier ne voit rien, et le spectateur non plus. Pas le temps de plisser les yeux que Tomita est déjà passé à la scène suivante. La drame des personnages de Saudade est de ne pas exister dans les ellipses, chacun essayant en vain de prolonger ses miettes de vie au-delà de la coupe. Katsuya Tomita aimerait leur accorder un moment de gloire mais son honnêteté l’en empêche. Alors il tranche : pas de chanson à entonner, pas de combat à mener, pas d’ovni à repérer dans le ciel. Leur horizon reste bouché.

Vers la fin du film, un personnage en quête de déracinement pense avoir trouvé la solution : il a quitté son pays et marche désormais dans les rues de Bangkok. Le plan-séquence rappelle grandement celui qui refermait Jellyfish (2003). L’inscription du titre originale du film de Kiyoshi Kurosawa, traduisible par « avenir radieux », barrait alors l’écran. Dans Saudade, les temps à venir n’ont rien d’heureux : le personnage rouvre les yeux et réalise qu’il n’est pas en Thaïlande, pays de tous ses espoirs, mais toujours au Japon. Sa maîtresse thaï, sur le point de faire le chemin inverse et de se voir naturaliser japonaise, le lui avait pourtant affirmé : la Thaïlande ne saurait être synonyme de seconde chance. Pour Tomita, l’immigration n’est pas le fléau que ses anti-héros les plus remontés pensent avoir identifié : l’enfer nage bien au-delà des frontières. En cela, le souvenir d’un autre film de Kurosawa s’invite, celui de Vaine illusion (1998) et de ses squelettes échoués sur le rivage comme ultime symbole d’une fuite effectivement « vaine » et « illusoire ».

Alors il reste la possibilité d’une entraide, entre compatriotes désoeuvrés. Certains personnages ne pourront jamais s’entendre tant que le pays ne connaitra pas une nouvelle bulle économique : « Je hais l’argent ! » hurle un homme, « Je veux de l’argent ! » lui répond celle qu’il aime. Les autres, ce sont ceux qui trouveront un soulagement, même s’il est éphémère, en se confiant leurs aspirations respectives. Dans les derniers instants de Saudade, Tomita filme deux collègues ouvriers malheureux, perdus, bientôt sans emploi, mais ils les réunie dans un même espace comprimé. Le montage « cut » empile ces saynètes, et leurs voix débordent d’un plan à l’autre. A chaque fois, les dialogues apparaissent comme extra-diégétiques, accolés sur un plan ne leur correspondant pas… puis, miracle, chaque fin de phrase se raccorde in extremis à l’image, comme rattrapée au vol. Katsuya Tomita appuie ainsi par son montage l’idée d’une entraide naturelle, presque innée. Voici la dernière chance de salut lorsque chaque japonais déraciné aura trouver sa paire, celle qui lui donnera envie de trouver sa place. Au Japon, ou ailleurs.

SAUDADE (Japon, 2011), un film de Katsuya Tomita, avec Ayano, Takako Hayashi, Hitoshi Itô, Yôta Kawase. Durée : 167 min. Sortie en France non déterminée.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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