DISCOUNT : They were expendables
La comm’ pataude de Discount (formule passe-partout « comédie sociale », hashtag « Solidaires ») ne rend pas hommage au film. Elle cherche à le faire rentrer dans le rang du cinéma labellisé « populaire », ce qui passe forcément par l’aplanissement de son altérité vis-à-vis du tout-venant de cette production française mainstream. Pourtant ce premier film voisine plus avec les Dardenne (rébellion ténue incluse) qu’avec La famille Bélier, et s’il s’engage dans les pas de Loach c’est pour produire une Part des anges privée de sa souriante insouciance.
L’idée qui germe dans la tête des personnages de Discount est du même ordre que celle à la base de La part des anges : détourner à son avantage une partie du gâchis que s’autorise le système, et la valoriser. C’est le whisky écossais qui s’évapore chez Loach, ce sont les produits proches de leur date de péremption mis à la benne par les supermarchés tels que celui où travaillent les héros du film de Louis-Julien Petit. Puisqu’ils vont à leur tour être jetés sans ménagement, avec l’arrivée des caisses automatiques, les employés du Discount décident de voler leur employeur et de revendre les denrées pour leur compte propre. Les chemins des écossais et des français se séparent en raison de la complète absence d’illusion qui règne dans le récit des péripéties des seconds. L’oppression par les machines (caisses automatiques demain, caméras de surveillance dès aujourd’hui), les chiffres (de rentabilité, de compte à rebours avant l’ouverture du magasin ou l’encaissement du client suivant), les vigiles zélés savourant leur petit pouvoir est trop forte. À coups d’humiliation et de déshumanisation cette oppression transforme le lieu de travail en prison rétro-futuriste, dont même le film ne peut s’échapper : ses plans d’ouverture et de conclusion, glaçants, ne laissent aucun faux espoir là-dessus.
Le qualificatif de « comédie » agrafé au film paraît bien incongru, et uniquement dû au fait qu’aujourd’hui un long-métrage fédérateur n’est concevable que sous cette désignation
On est donc devant un film de guerre, cette guerre économique où les salariés du bas de la chaîne sont les troufions « expendables », pour reprendre le titre du film de John Ford tourné lors de la Seconde Guerre Mondiale. Discount peut plus précisément se ranger dans le sous-genre « dernière bataille pour l’honneur, avant une défaite certaine ». Une bataille kamikaze, puisque les héros volent « trop » (il n’est pas question de subvenir à leurs seuls besoins mais de monter un commerce concurrent, visant une diffusion relativement massive) et qu’ils refourguent leur butin à perte, en cassant les prix. Sans illusion dès le départ et jusqu’à son terme, eux et leur scénariste-metteur en scène regardent plus souvent vers le bas – la misère qui menace – que vers le haut. Il n’est jamais question de futur, de projets pour les personnages. Rendre plus efficaces, le temps d’une parenthèse, les mécanismes de solidarité qui servent de dernier filet est la seule action à portée de main ; et changer la société est un horizon inaccessible, inenvisageable. Discount ne se range donc pas aux côtés de Samba, qui croyait à cette possibilité d’évolution. Il a plus en commun avec Deux jours, une nuit, où les Dardenne font le constat similaire d’une impasse économique et sociale obligeant à une rupture, une révolution.
Discount rejette le grimage mensonger du télé-cinéma français soi-disant « populaire », qui vise nous faire nous croire à Disneyland en toutes circonstances – faux lieux de vie, faux personnages, faux problèmes et fausses solutions, stars en goguette et encaissant les gros chèques. Mais ici ce n’est pas le Nord-Pas de Calais de Bienvenue chez les ch’tis ; plutôt celui de P’tit Quinquin. Les réalisations de Dumont et de Petit ont d’ailleurs en commun une même manière de rire comme elles peuvent, avec les moyens du bord. Car on rit assez peu devant Discount, et toujours à la marge des événements – aucune scène n’est construite spécifiquement autour d’un gag dont elle serait l’estrade. Le qualificatif de « comédie » agrafé au film paraît dès lors bien incongru, et uniquement dû au fait qu’aujourd’hui un long-métrage fédérateur n’est concevable que sous cette désignation. Même s’il n’est pas parfait, Discount a bien plus à offrir que ces « comédies » produites à la chaîne, successions monocordes de rires aguicheurs soutenues par un amas de stéréotypes réducteurs et une mise en scène criarde. La seule coquetterie repérable ici est l’utilisation de la chanson L’empire du côté obscur de IAM ; ce qui ne gâche évidemment rien.
DISCOUNT (France, 2013), un film de Louis-Julien Petit, avec Olivier Barthélémy, Corinne Masiero, Pascal, Demolon, Sarah Suco, M’Barek Belkouk. Durée : 105 min. Sortie en France le 21 janvier 2015.