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Repartie trop tôt de ce festival d’Arras pour pouvoir visionner les films de la Compétition européenne, notre intérêt s’est porté quelque peu au hasard sur quelques avants-premières de films français et européens, qui ont tissé au fil des jours des liens inattendus les uns avec les autres.
Pour commencer, deux films « tirés d’une histoire vraie », évoquant des tragédies marquantes du début du XXIe siècle : l’accident du sous-marin nucléaire Koursk en 2000, l’attentat d’Utoya en Norvège en 2011.
Kursk, production internationale majoritairement belge sortie en salles ce mercredi 7 novembre, choisit d’abandonner tout réalisme linguistique en faisant parler anglais tous ses personnages. C’est ainsi qu’on retrouve, dans le rôle de figures on ne peut plus russes, Matthias Schoenaerts (le commandant du Koursk) et Léa Seydoux (son épouse inquiète). Ce choix très « à l’ancienne » apparaît d’emblée un peu incongru ; d’autant que la présence de personnages britanniques, à savoir des marins de la Royal Navy, le rend d’autant plus voyant. Autre démarche très classique, le scénario s’efforce de créer une backstory engageante pour les personnages afin que les spectateurs, qui connaissent déjà l’issue de l’histoire, aient quelque chose à laquelle se rattraper. Ainsi, le début du film nous montre l’amitié entre les marins et les relations familiales du commandant, marié et père d’un enfant, que l’on va continuer de suivre tout au long du film. Une fois l’accident parvenu (l’explosion d’un missile à l’arrière du sous-marin), le film s’organise en allers-retours entre le sous-marin où tentent de s’organiser les survivants, les autorités des différentes armées débattant des solutions possibles et les famille inquiètes des marins. Le réalisateur danois Thomas Vinterberg, ancien adepte du Dogme qui réalise désormais des films de facture plus classique (comme le très beau Loin de la foule déchaînée en 2015), tente de s’intéresser au contexte politique : le film est très critique envers les autorités russes, qui sont restées très opaques et ont refusé trop longtemps l’aide internationale qui aurait peut-être pu sauver les marins. Malgré tout, l’ensemble reste très superficiel. Le manque d’émotion suscité par le film est dû notamment à l’absence de la notion de temps, qui laisse le spectateur à distance et empêche un véritable suspense de s’installer. A la fin du film, nous ne sommes pas exactement certain du temps qui s’est écoulé entre l’accident et son issue tragique.
A l’inverse, Utoya, 22 juillet d’Erik Poppe choisit de nous faire ressentir chaque minute, chaque seconde. A l’exception d’une courte introduction montrant en images de vidéo-surveillance l’attentat à la bombe ayant eu lieu à Oslo quelques heures avant le massacre d’Utoya, le film déroule en temps réel l’horreur de ce moment. Sur une île où des jeunes membres du parti travailliste sont réunis en camp d’été, un homme se met à tirer sur la foule. Le massacre dure un peu moins d’une heure et demie : c’est la durée du film. Nous suivons Kaja, jeune femme imaginée pour les besoins du scénario, et ne la quittons plus. Nous restons dans son point de vue : elle ne sait pas ce qui se passe, se déplace sans savoir où aller et cherche désespérément sa sœur qui n’était pas avec elle quand les coups de feu ont commencé. Jamais le contact avec elle n’est rompu : Utoya, 22 juillet consiste en un seul et unique plan-séquence très impressionnant. La caméra portée est très voyante : on sent le caméraman courir derrière les comédiens, changer de braquet le plus vite possible etc. Même si on en ressent un peu l’artificialité, cela participe d’une urgence et d’une beauté qui affleure parfois, lorsque que la caméra capte des choses imprévues (comme une mouche qui se pose quelques secondes sur le bras de l’héroïne). La tension ne doit jamais retomber, ce qui nécessite des procédés de scénario parfois un peu voyants : il faut que l’héroïne fasse des choses, se déplace d’un bout à l’autre de l’île pour que le spectateur ne s’ennuie pas. Dans certains moments plus calmes, le cinéaste tente un peu de poésie au risque de tomber dans le sentimentalisme (comme cette scène où la Kaja chante « True Colors » de Cyndi Lauper à un camarade). Mais le film continue de tenir. Dans les obligatoires cartons de fin du film, le réalisateur choisit sciemment de ne pas donner le nom du terroriste d’extrême-droite qui a perpétré le massacre d’Utoya. On sent Erik Poppe guidé du début à la fin par la question de la dignité des victimes et, sans réellement parler de politique (sauf dans une conversation entre les personnages au début du film), il réalise une œuvre engagée qui ne vaut pas seulement pour son aspect « choc ».
Les témoins de Lendsdorf et Une intime conviction sont également tirés d’histoires vraies, de procès et d’enquêtes au long cours ayant réellement eu lieu. Le premier, réalisé par l’israélien Amichaï Greenberg et présenté au festival de Venise 2017 sous le titre The Testament, raconte le combat d’un professeur d’histoire juif orthodoxe pour prouver la réalité d’un massacre ayant eu lieu dans la ville autrichienne de Lendsdorf à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et pour retrouver les corps des 200 juifs jetés dans une fosse commune dont l’emplacement exact est inconnu. Comme souvent dans ce type de récit très classique, la quête de vérité et de justice se double d’une quête personnelle, puisque le protagoniste découvre en enquêtant des réalités familiales qui bousculent son rapport à sa religion, qui définissait jusque là toute son existence.
Une intime conviction choisit de se débarrasser presque entièrement de la dimension « personnelle » du combat de son héroïne (à tel point que les scènes avec son fils et son petit-ami apparaissent comme des contrepoints peu intéressants). Comme dans Utoya, 22 juillet, le personnage central féminin est inventé de toute pièce, ainsi que nous l’apprend, là aussi, un carton final. Mais Nora (Marina Foïs) ne se retrouve pas par hasard au centre de ce drame bien réel – elle décide activement d’y participer. Jurée d’assise lors du premier procès de Jacques Viguier, persuadée de son innocence, elle convainc la star des stars des avocats français, Eric Dupond-Moretti (joué par un Olivier Gourmet dans un mimétisme frappant), de défendre ce dernier en appel. Une intime conviction est un efficace film de procès à l’ancienne, dont on trouvera les ancêtres du côté du cinéma américain (Alan J. Pakula notamment). On ne saura jamais vraiment pourquoi Nora est obsédée à ce point par cette histoire – le film se montre à cet endroit plus comportementaliste que psychologisant – mais on sait tout de suite qu’elle a raison. Si on peut regretter à un moment que le scénario ne laisse aucune place au doute (l’héroïne verrait ses certitudes vaciller), c’est justement là le sujet du film : lors d’une confrontation vers la fin du film, l’avocat reprochera à Nora d’être persuadée de son bon droit au point de vouloir faire accuser un autre homme dont la culpabilité n’est pas du tout certaine. Le réalisateur Antoine Raimbault, dont c’est le premier long-métrage, est sans doute un peu trop admiratif du personnage de Dupond-Moretti, auquel il offre un grand discours final aux accents hollywoodiens. Mais c’est le personnage de Nora et son interprétation superbe par Marina Foïs qui restent en tête. De 12 hommes en colère à Erin Brokovich, le cinéma a toujours fait l’éloge des têtus et des acharnés, qui suivent leur intuition personnelle et le sens de la justice, toujours intimement mêlés, jusqu’au bout.
Bien qu’on n’aime pas beaucoup l’expression, pour la simple et bonne raison que personne ne parle jamais de « portrait d’homme », on ne peut nier que les deux films suivants sont chacun le portrait d’une femme au sens le plus fort… mais dans des styles très différents.
Pearl, premier long-métrage d’Elsa Amiel, scrute au plus près le corps de son héroïne. Un corps hors-norme : Julia, alias Léa Pearl, est bodybuildeuse et s’apprête à participer à une des compétitions les plus importantes de sa carrière. Tout tourne autour de ce corps, qu’elle sculpte avec l’aide d’un coach tyrannique interprété par Peter Mullan. Le sang, la sueur se mêlent à l’image, souvent en gros plan, pour nous montrer l’effort et la souffrance engendrée par cette vie dévouée à la performance. Léa aussi est une acharnée, comme le sont toutes ces femmes dont les corps défilent sous les caméras dans de fascinantes séquences. Mais Pearl suit aussi une piste plus classique, plus banale pourrait-on dire : cette journée qui devait se dérouler sans accroc pour Léa Pearl est perturbée par l’arrivé de son ancien compagnon, qui lui demande de garder leur fils qu’elle n’a pas vu depuis plusieurs années. De là, on devine bien vite qu’après un moment de rejet, Léa va reformer ce lien maternel et accepter cette part d’elle-même qu’elle avait voulu oublier. Un beau parcours d’émancipation, malgré tout.
La maternité est aussi au cœur de La dernière folie de Claire Darling, de Julie Bertuccelli. En revanche, pas d’émancipation pour le personnage éponyme, interprétée par une Catherine Deneuve qui assume ici une image de vieille dame aux cheveux blancs et en robe à fleurs. Atteinte d’une forme d’Alzheimer, elle vit seule dans sa grande maison où elle organise aujourd’hui un vide-grenier qui fait remonter des souvenirs enfouis. La cinéaste cherche à figurer comme les choses se passent dans la tête des malades d’Alzheimer. Il s’agit rendre fluides les passages du passé au présent (et vice-versa) : un seul mouvement de caméra nous fait changer d’époque, les personnages peuvent changer de visage d’un plan à l’autre… L’autre bonne idée du film est son rapport aux objets, et notamment la collection d’horloges et de coucous très sophistiqués qui trônent dans la maison. Cela renforce, par petits détails amusants, la thématique du temps et du rapport au passé de cette femme arrivée à la fin de sa vie. Hélas, Bertuccelli se laisse rattraper par un côté vieillot et une imagerie pseudo-poétique qui ne fonctionne pas du tout : Claire Darling a des visions (vélos suspendus dans les arbres, femmes en robes de mariées courant dans la forêt) dont on a du mal à saisir le sens. Privé de fil directeur, le film s’embourbe jusqu’à un final grandiloquent mais sans véritable impact. Dommage pour Chiara Mastroianni, lumineuse, qui joue à nouveau la fille de sa mère, et donne une belle mélancolie à son personnage.
Enfin, deux films français vus à Arras ont exploré les terres délicates de la chronique. Et il s’agit de deux films réalisés par des comédiens, des films de personnages avant tout. Deux fils, premier long-métrage de Félix Moati, jeune comédien sympathique croisé souvent dans ce qu’on pourrait appeler le haut du panier de la comédie française (A trois on y va, Simon et Théodore, Gaspard va au mariage, Le grand bain…). Moati ne joue pas dans son film : il laisse la vedette à son pote Vincent Lacoste. Ce dernier joue l’un des deux fils d’un médecin qui a lâché son cabinet pour devenir (mauvais) écrivain – c’est un Benoît Poelvoorde plutôt convaincant qui l’interprète. L’autre fils, c’est un collégien un peu bizarre (Mathieu Capella pour son premier rôle à l’écran). Bref, un film sur une famille dysfonctionnelle avec des personnages pas très aimables auxquels ils n’arrivent pas grand chose – la moyenne absolue du cinéma français, dont on ne sait pas vraiment ce qu’elle veut nous raconter. Malgré quelques bonnes idées, Deux fils reste très vague sur la manière dont vivent ses personnages, leur quotidien, et sa tonalité manque de modernité, comme en témoignage la place qu’il donne aux personnages féminins…
Tout ce qu’il me reste de la révolution est, là encore, le premier long-métrage de Judith Davis, qui elle joue dans son film. Elle y incarne Angèle, une jeune urbaniste aux idéaux de gauche, désillusionnée par le monde dans lequel elle vit. Le très grand charme du film repose sur un véritable art des situations. Les scènes récurrentes où Angèle retrouve son groupe de parole, celles où on la voit dessiner des doigts d’honneur sur les affiches publicitaires, sa colère déversée sur les « patrons de gauche » qui viennent de la virer comme une malpropre : autant de moments très drôles qui reposent sur le talent des comédiens et des dialogues particulièrement fins. C’est déjà beaucoup. C’est dans le détail (une phrase, un geste, un dessin, un regard) que Tout ce qu’il me reste de la révolution parvient à trouver sa tonalité, au-delà des éléments plus attendus de comédie romantique et de crise familiale.
Ces quatre fois deux films forment un échantillon pas forcément représentatifs (4 premiers films, 5 films français) mais un panorama toutefois intéressant de ce que propose un festival soucieux de refléter les différents chemins du cinéma contemporain, explorant plusieurs genres et naviguant sans souci du spectaculaire à l’intime.
Le 19ème festival d’Arras se déroule du 2 au 11 novembre