Une SAMBA sur un air de Platane et de Tour Montparnasse infernale

D’un côté, le cœur du système du cinéma français : TF1 et Gaumont à la production, l’équipe d’Intouchables devant et derrière la caméra. De l’autre côté, la marge du système de la société française : les sans-papiers. Samba fait s’associer ces deux pôles opposés, et aboutit à une réussite plutôt qu’à une catastrophe car il pirate le cœur pour le mettre au service de la marge.

 

Samba claque d’entrée tout son capital cinéma, dans un plan-séquence qui empoigne le (télé)spectateur sans le lâcher pour l’emmener hors de la scène d’un mariage aux allures de superproduction, direction les coulisses où s’affairent à chaque poste des travailleurs de plus en plus précaires – jusqu’au plus bas de l’échelle, la plonge et les sans-papiers noirs qui y sont employés. Du centre de l’attention, à la marge loin des regards ; la mise en scène a fait son boulot elle aussi, en CDD, elle s’éclipse du reste du film. Et laisse seuls en piste les comédiens, et le contenu. Rapidement, une séquence fait comprendre qu’avec ces cartes en main Samba a tout pour remporter la mise, dans son pari fou. Samba Cissé / Omar Sy est mis à la porte du Centre de Rétention du Mesnil-Amelot (adossé à l’aéroport Charles-de-Gaulle) où il était détenu depuis le début du film, mais la policière qui le fait sortir lui explique qu’il est toujours sous le coup de l’OQTF en raison de laquelle il a été incarcéré. Obligation de Quitter le Territoire Français, mais liberté rendue sans contrôle : le personnage et l’acteur répondent à cette double injonction schizophrène par l’absurde, en sprintant derrière un avion prêt à décoller sur une piste juste de l’autre côté du grillage, comme on court après un taxi, et en clamant sur un ton tout à fait sérieux, posé, qu’il compte monter à bord pour rentrer au pays comme on le lui a demandé.

 

Samba se retrouve dans une position rappelant celle du Mister Chance de Peter Sellers ou du fool on the hill des Beatles : observateur candide et flegmatique d’un monde qui va de travers

 

L’humour dans lequel Omar Sy s’engage alors est celui que sillonne Éric Judor depuis deux saisons de sa série Platane, qu’il écrit, réalise et interprète. C’est un humour dont le champ d’action se doit d’être un terrain miné (plus il l’est, mieux c’est), où les gags prennent la tangente, jouant sur le décalage et la dissonance, et où ils sont perpétrés de manière égale, nonchalante presque, sans frénésie aucune. Cet humour déborde le réel non pas par l’excès mais par le recul, une certaine forme de passivité voire d’absence. Samba le film ne l’utilise pas pour déranger, comme c’est le cas dans Platane. Samba le personnage se retrouve dans une position rappelant celle du Mister Chance de Peter Sellers dans Bienvenue, Mister Chance, ou dufool on the hill des Beatles : observateur candide et flegmatique d’un monde qui va de travers, dont il formule avec malice les bizarreries (le burn-out, l’« algéro-brésilien ») quand il n’en est pas victime – le travail au black de vigile, qui tourne court lorsque Samba arrête un voleur… car alors les policiers arrivent.

 

Lorsque Tahar Rahim vient rejoindre Omar Sy, c’est à la paire formée par Éric avec Ramzy que leur duo comique fait écho – surtout quand ils font les laveurs de carreaux en binôme, à La Défense puisqu’à la Tour Montparnasse (infernale) cela a déjà été fait. Un arabe boule de nerfs et de mauvaise foi d’une part, de l’autre un clown blanc (en fait noir pour Omar, ou métis pour Éric) qui tente de rattraper les situations mais ne parvient qu’à les empirer par ses maladresses et sa naïveté. Tahar et Omar traversent les épreuves qui constituent le quotidien de galère des sans-papiers, descentes de flics, embrouilles pour se procurer de faux permis de travail, et la dynamique de leur duo crée un « réalisme comique », mi-idiot mi-tendre, qui donne à ces séquences une saveur particulière. Ainsi pourvu, de son audace de rire avec les sans-papiers et de ses bons modèles pour y parvenir, Samba ne peut tout simplement jamais perdre. Y compris dans son semi happy-end, arraché du bout des ongles et de façon balourde, mais toujours plus fort qu’une fin tragique. Parce qu’une française blanche cadre supérieur en couple avec un sans-papiers noir sénégalais, à 23h (oui, le film est long, un peu trop) sur TF1 ou dans plusieurs centaines de salles de multiplexes, c’est incontestablement un changement en bien par rapport aux habitudes de ces lieux. Même si un peu plus de cinéma ne ferait pas de mal, évidemment.

 

SAMBA (France, 2014), un film de Olivier Nakache & Éric Toledano, avec Omar Sy, Charlotte Gainsbourg, Tahar Rahim, Izïa Higelin. Durée : 115 minutes. Sortie en France le 15 octobre 2014.

 

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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