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La Berlinale 2014 a fait dans le caritatif, en déroulant le tapis rouge de sa sélection Hors Compétition à deux faillites artistiques qui emmènent le spectateur aux confins des terres du nanar : l’américain Monuments Men (chroniqué ici), et le français La Belle et la Bête. Espérons pour les organisateurs du Festival que leurs bonnes œuvres soient déductibles des impôts en Allemagne, comme c’est le cas ici.
La Belle et la Bête est le fruit de l’alliance de deux familles éminentes de la production de navets. L’une est noble et ancienne, sa lignée remonte au moins aux années 1970, quand des pays historiques de cinéma populaire tentèrent de contrer la révolution des blockbusters hollywoodiens sans avoir ni les moyens ni les talents nécessaires – Hong Kong et son Super Inframan, l’Italie et son Starcrash. L’autre est parvenue et bien plus récente, c’est la branche honteuse de ces mêmes blockbusters, regroupant les cancres incapables de fournir le minimum syndical en matière de qualité du spectacle. Comme ses ascendants de sa première famille, La Belle et la Bête imite un style tendance dans les collections actuelles du prêt-à-consommer en multiplexes : l’heroic fantasy. Le conte ancestral devient un spin-off des aventures hobbitesques narrées par Peter Jackson, bas de gamme qui plus est. Car pour ce qui est de sa personnalité (ou plutôt son absence de), il a tout hérité de sa deuxième famille.
Il y a beaucoup de World War Z dans les traits de La Belle et la Bête. Les deux films partagent cette même idée complètement inepte de traiter de manière aussi lisse que possible un matériau qui ne l’est absolument pas, en camouflant la part sombre de ce que l’on raconte comme s’il s’agissait d’une verrue honteuse et non de son cœur battant. Pour s’en rendre compte il n’y a pas besoin d’aller plus loin que le visage donné à la Bête, qui inspire moins de crainte que les Maximonstres. La charge sexuelle, forcément et férocement animale, de l’histoire est muselée, et la piste nécrophile barricadée – il y avait pourtant là un boulevard hitchcockien, avec cette héroïne blonde s’installant sciemment à la place d’une morte auprès d’un homme menaçant et ayant causé lui-même sa malédiction. Mais de tels fantasmes puisant dans Sueurs froides ou le mythe du loup-garou n’ont pas droit de cité ici, puisque le film se veut « tous publics ». Manière cynique de dire que l’on veut gagner sur toute la ligne ; minimiser les risques et maximiser son profit.
Privé de la part cauchemardesque de son cinéma, Gans se retrouve aussi impuissant qu’un amputé des deux bras qui tenterait de concourir en biathlon
Mais à ce jeu de prendre une histoire adulte et de la grimer grossièrement en film pour enfants (soit le cheminement inverse de la version Disney, dessin animé dont l’allure faussement enfantine cache une dureté et une violence profondément adultes), La Belle et la Bête perd sur tous les tableaux. Il ne peut plus rien montrer – la scène où la Bête dévore une biche est détruite par son cadrage et son découpage, comme celle de World War Z où le héros tue un zombie au pied-de-biche – et par ricochet plus rien raconter. Du fait de l’abandon d’une structure cohérente sur laquelle s’appuyer, tout tombe à côté de la plaque : l’innocence se transforme en niaiserie, l’humour en crétinerie, l’esthétique en clinquant criard. Le climax de World War Z se ratatinait en spot pour Pepsi, les scènes à visée lyrique de La Belle et la Bête ressemblent à des publicités pour du parfum (celle de Chanel avec Le Petit Chaperon Rouge par exemple). Ailleurs, des actrices approchant de la trentaine se voient demander de jouer comme des gamines de huit ans, jusque dans les répliques : « Papa est tellement triste depuis que tu es partie qu’il ne veut plus se réveiller ». C’est Frangins malgré eux, mais sans le second degré. Le malaise est total.
La principale victime de cette catastrophe est Gans, même s’il est aussi coupable – la laideur du film, en particulier des effets spéciaux, est impardonnable. Les longs-métrages précédents du cinéaste valaient surtout (et beaucoup) pour leur part cauchemardesque et, privé de celle-ci, il se retrouve aussi impuissant qu’un amputé des deux bras qui tenterait de concourir en biathlon. Comme Monuments Men pour Clooney, La Belle et la Bête devient le révélateur cruel de ses lacunes de réalisateur. Son impuissance à raconter une histoire par les dialogues est criante, sa direction d’acteurs inexistante. Livrés à eux-mêmes, ces derniers font à peu près n’importe quoi. Vincent Cassel est absent de son rôle comme il est absent de sa carrière depuis bien longtemps, Eduardo Noriega est évincé par une postsynchronisation ridicule, André Dussollier joue comme dans une mauvaise comédie de boulevard (ce qui lui vaut de saboter la seule scène a priori immanquable, la découverte nocturne du château). Seule Léa Seydoux s’en sort à peu près, malgré les relents de misogynie du regard porté sur son personnage. Elle est tout ce qu’il y a à sauver d’un film qui atteint un niveau de nanar tel que l’on s’en trouve hypnotisé, comme devant un accident de la route dont on n’arrive pas à détourner le regard.
LA BELLE ET LA BÊTE (France, 2013), un film de Christophe Gans, avec Léa Seydoux, Vincent Cassel, André Dussollier, Eduardo Noriega… Durée : 112 min. Sortie en France le 12 février 2014.