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Après le remarqué Cleveland contre Wall Street, et sur un sujet aussi porteur (la montée de l’extrême-droite en Europe aujourd’hui), le nouveau film de Jean-Stéphane Bron avait de quoi susciter la curiosité. Le résultat est décevant : centré sur la figure de Christophe Blocher, leader de la droite populiste suisse, le film fait alterner de manière assez plate le journal de sa dernière campagne et le récapitulatif de sa carrière passée, donnant dans les deux cas une impression de superficialité.
Intéressant a minima parce qu’on y apprend des choses, sur le système politique suisse, ses hommes, ses transformations, L’expérience Blocher échoue cependant à rendre compte de l’essentiel : les raisons de la montée en Europe d’une tendance politique qu’on avait crue un peu rapidement discréditée. Au vrai, Cleveland contre Wall Street ne frappait déjà pas par la sagacité de son analyse. Il fallait vraiment n’avoir rien lu, rien entendu sur la question pour estimer que celui-ci disait des choses très originales ou approfondies sur la crise et les excès du capitalisme. Si le film séduisait, c’était en raison de son parti-pris dramaturgique, bien pensé, pour le coup, consistant à prendre la faillite d’une ville comme point de départ d’un véritable film de procès. Impossible à mon niveau de poursuivre effectivement les banques impliquées dans le scandale des subprimes, semblait nous dire le réalisateur. Rien ne m’interdit en revanche de mettre en scène un procès fictif au cours duquel les victimes exposeraient leurs griefs.
C’est d’un parti-pris dramaturgique de ce type que manque L’Expérience Blocher : on voit bien par endroits que le cinéaste regarde du côté du thriller politique, entendant peut-être faire avec celui-ci ce qu’il avait accompli sur son film précédent avec le film de procès. Bron s’amuse avec les grosses berlines sillonnant la forêt helvétique, leurs occupants au visage sévère qui multiplient les coups de fil mystérieux. La tentative reste quand même nettement moins aboutie, laissant un sentiment de ni fait ni à faire. Un second parti-pris, qui aurait pu s’avérer fécond, consiste en l’instauration d’un face à face entre Blocher et le cinéaste. Il est vrai qu’il n’y a là rien de très nouveau. Presque une catégorie à part entière, au sein du documentaire : un réalisateur, désireux de se mesurer aux puissants, se choisit un adversaire politique qu’il estime de son rang. Celui-ci, conscient de la réprobation initiale de son interviewer et des risques de l’exercice, accepte de jouer le jeu, espérant retourner la situation à son avantage. Là encore, L’Expérience Blocher se contente du minimum. Le cinéaste fait peu d’efforts pour provoquer la dispute. De son côté, Blocher semble le considérer, distraitement, comme un journaliste de plus à emmener avec lui dans ses déplacements. Pas comme un adversaire de valeur, qu’il lui appartiendrait de convaincre ou combattre.
L’Expérience Blocher rappelle cette chose qui devrait être évidente : les hommes et femmes politiques qui se réclament le plus du peuple en sont en réalité extrêmement loin
En un sens, tant mieux. L’expérience Blocher nous évite le coup de la fascination-paradoxale-du-cinéaste-de-gauche-pour-le-tribun-de-droite (Moatti pour Le Pen père, Mograbi pour Sharon). Nul besoin en effet d’inventer un pseudo-trouble : Blocher, plutôt médiocre, n’est pas homme à le provoquer. Bron-interviewer se contente d’une courtoisie minimale, capable d’échanger quelques mots et d’esquisser un sourire poli devant les blagues vaseuses de son interlocuteur. Guère plus. En un sens, c’est tout à son honneur. Mais il faut bien reconnaître que cette réserve maussade l’empêche aussi d’engager un débat, d’embrayer sur tel ou tel point, d’essayer d’écouter et de comprendre les raisons de son interlocuteur. Un débatteur plus tolérant, plus prêt à se laisser bousculer aurait pu, sans rien renier de ses convictions (ni, encore une fois, verser dans une fascination qui n’a franchement pas de raison d’être), aller un peu plus loin de ce côté.
L’expérience Blocher a tout de même le mérite de souligner ce qui constitue à nos yeux la plus grosse imposture de cette catégorie de politiques : l’appropriation du peuple. Blocher a fait fortune dans les années 1980 comme patron ultralibéral, profitant à plein du mouvement de financiarisation de l’économie ; Le Pen père, au même moment, aimait à se présenter comme le Reagan français. Il possède aujourd’hui un château, où il déguste les meilleurs millésimes en compagnie de sa femme, très « grande bourgeoise », et d’amis toujours prêts, entre le fromage et le digestif, à entamer un nouveau lied ; Le Pen fille a passé son enfance dans un château, entourée des amis tout de même particuliers de papa, puis a étudié le droit à Assas, université pas vraiment réputée pour son goût de la mixité sociale. Tout en brocardant allègrement les fonctionnaires européens, les partis politiques modérés, tous ses adversaires, en fait, forcément coupés des réalités. On sait gré à L’Expérience Blocher de rappeler cette chose qui devrait être évidente, mais ne l’est apparemment pas toujours : les hommes et femmes politiques qui se réclament le plus du peuple en sont en réalité extrêmement loin.
L’EXPÉRIENCE BLOCHER (Suisse, 2013), un film de Jean-Stéphane Bron, avec Christophe Blocher. Durée : 100 min. Sortie en France le 19 février 2014.